1756-09-15, de Claude Pierre Patu à Charles Palissot de Montenoy.

Je dois vous rendre compte, mon cher ami, de mon retour à Genève, et des huit jours que je viens de passer dans la maison de m. de Voltaire.
Je ne puis qu'être infiniment sensible aux bontés du grand homme, aux politesses dont il m'a comblé, surtout à l'amitié dont il affectait, en quelque sorte, de me donner les marques les plus flatteuses. Mais toutes les béatitudes ensemble ne m'auraient pas engagé à faire un long séjour dans une maison qu'habitaient avec moi…; je ne vous déguiserai pas que j'ai eu avec elles des explications, des disputes même fort vives à votre sujet.

Le d'Alembert leur faisait la cour à mon arrivée, et vous sentez d'avance les services philosophiques qu'il a rendus à l'auteur des Originaux. Rien de plus tracassier que ce prétendu sage. Quelques scènes qu'il a occasionnées dans ce pays-ci, font que Lyon, Genève et moi, nous n'avons qu'une voix sur son chapitre. A dieu ne plaise que la défense d'un ami ait jamais pu me fatiguer! Mais avoir sans cesse à parler devant un tribunal sottement, maussadement, invinciblement prévenu, me voir même dans la nécessité de dire des choses fort dures à madame Den.., voilà ce qui m'a excédé, rebuté, engagé même à quitter Genève plus tôt que mes affaires ne l'exigeaient. M. Vernes m'a fort approuvé, et les procédés du d'Alembert lui ont paru les plus indignes du monde. Initium sapientiæ timor philosophorum, ce sera désormais ma devise.

Je vous donnais trop, mon cher Palissot, pour vous recommander de ne pas confier cette lettre à quelque indiscret capable d'en faire un mauvais usage. S'il vous prend quelque envie d'écrire à ce sujet que ce ne soit qu'au grand homme, qui vous aime toujours, et qui n'entrait pour rien dans les sottes idées de…. Je sais qu'on a voulu lui persuader que vous l'aviez peint dans le personnage de du Volcan, et madame du Châtelet dans celui d'Araminte: mais cela n'a pas pris, le piège était trop grossier. Cependant vous connaissez ma sensibilité, et je ne jurerais pas qu'il n'y ait eu dans son imagination un premier moment contre vous. Adieu, mon cher ami; estimé de m. de Voltaire autant que vous méritez, ne comptez pour rien l'opinion de quelques bégueules et les calomnies d'un Tartuffe, qui, sous le voile de la philosophie, ne songe qu'à la vengeance et à la persécution.