1744-03-30, de Jean Poussot à Claude Henri Feydeau, comte de Marville.

Tout est en rumeur chez la marquise du Châtelet.
Son mari est arrivé à Cirey, qui écrit lettres sur lettres pour qu'elle vienne lui tenir compagnie. Il a fallu des peines infinies pour déterminer Voltaire à ce voyage. Depuis qu'il est résolu, il est d'une humeur épouvantable, traite avec la dernière dureté la marquise et la fait pleurer toute la journée. Avant-hier il y eut une discussion qui dura une partie de la nuit; Voltaire comptant souper tout seul avait fait mettre son couvert sur une table étroite, mme du Châtelet étant revenue pour souper avec lui souhaita qu'on mît une table plus raisonnable, Voltaire s'obstina à la garder, et sur des instances nouvelles, dit qu'il était le maître chez lui, et qu'il y avait trop longtemps qu'il faisait le métier de dupe, et lui dit plusieurs autres duretés. Ces contestations qui sont fréquentes sont l'objet des railleries de toute la maison. Le motif secret de ces mauvaises humeurs respectives sont occasionnées par la passion de Voltaire pour la Gaussin. Cette comédienne vient voir le poète lorsqu'il ne peut aller chez elle, le commerce est réglé, la marquise en est furieuse et n'ose pousser les choses trop loin dans la crainte que son amant prenne son parti, et le journal de ce qui se passe entre ces victimes de l'amour et du bon sens serait aussi singulier qu'intéressant.