Janvier 19 au soir à Paris 1656 [1756]
Mon très cher et très illustre ami, Je suis bien tendremt touché des marques de votre souvenir et de votre amitié.
J'avois déjà donné mon approbation à la Lettre à l'Académie françoise, qui est sage, mesurée, et de laquelle il falloit écarter le bel Esprit. Duclos, qui m'a toujours témoigné de l'Estime et de l'amitié et qui ne veut pas qu'on le compte parmi vos adversaires, me l'avoit fait lire, m'avoit fait part de la réponse du secrétaire, de son Postscriptum, et m'avoit prié de vous assûrer que dans les deux assemblées de l'Académie au sujet de votre affaire, il s'étoit précautioné contre l'Enthousiasme qui l'inspiroit et qu'il avoit mis à la place tout le zèle et la chaleur d'un homme qui fera toujours sa gloire de s'intéresser à la vôtre. Il m'avoit dit, et j'ai sçu qu'il disoit publiquemt, lorsqu'il obtint la pension d'historiographe, que dans l'instant que vous reviendriés en France, il se désisteroit de l'autre moitié. Tout cela étoit accompagné de propos si modestes et si déçens que s'ils n'étoient pas sincères, ils étoient d'un homme très prudent et très avisé.
J'ai leu enfin l'histoire de la Guerre de 1741. On y voit des Membres épars qui ne peuvent être que de vous; mais on n'y trouve point votre Individu. M. de Malesieu des Tournelles, en me priant de vous faire ses compliments et ses amitiés, me remit le petit mémoire que je vous envoye.
Vous me demandés des informations sur les diverses Editions du Poème de Janne. J'ai veu celle de Mets qui est propremt imprimée, et dans laquelle je découvris beaucoup de vers sans rimes et des fautes grossières. M. et Made de Mezagues m'ont fait présent de l'Edition faite à Louvain qui est assés joliment exécutée. Elle contient 14 chants et le commencemt du 15. Elle est conforme à nos Manuscripts. Il y manque des Vers, et il y a beaucoup d'interpolations et de fautes. Les Editions de Hollande et celle de Berlin passent pour les plus étendües et les plus correctes, je suis encor à les rencontrer.
Ma Traduction de l'Essai sur le charactère des Nations de M. Hume paroit enfin dans le 2d Tome de Mercre de ce Mois de Janvier. Cela ne m'a plus parû bon. Il n'en a pas été de même de votre beau sermon sur Lisbone. Je le leu hier chés M. Dargental. Vous n'avés rien fait dans ce genre d'aussi bien soutenu, d'aussi bien lié et qui soit aussi noble, aussi touchant et aussi bien écrit que cet ouvrage. Il est aussi sagement que libremt pensé. Les Théologiens parmi lesquels il y a plus de fripons que de fols, et les Philosophes dont il y a plus de fols que de fripons, sont des Ennemis plus dangereux et plus à craindre que ceux qui ne se croyent pas Docteurs et qui cherchent humblemt la Vérité comme nous. Ainsi donc, les choses bien discutées et bien entendües, mon avis a été qu'il falloit encor tenir dans le portefeuille votre incomparable ouvrage qui ne perdra rien de sa beauté et de sa solidité, dans quelque tems qu'il paroisse.
Il se répand cependant sur cet affreux événement un morceau de 40 Vers de six sillabes qui sont à peu près dans le goût et dans le ton que vous auriés eu à l'âge de 18 ans. Quelques personnes conséquemt en sont la dupe, mais elles seront facilemt détrompées.
Nous avons grand besoin de l'être M. Darg et moi sur la découverte dont je lui ai fait part d'un Poëme sur la Religion naturelle qu'on vous attribüe. M. Liébault de Lorraine le sait, et le récite de Mémoire. Cela s'est fait chés Mad. de Grafigni et chés M. Helvetius; j'y fus invité pour l'entendre, mais j'étois engagé. Duclos, Bernard, les abbés de Mabli et de Condillac et autres, qui sont comme des Grecs prœter laudem nullius avari, s'accordent tous à m'en dire tout ce que je viens de vous écrire sur votre sermon de Lisbonne. On dit de plus que ce Poème est imprimé à Marseille. Credat Judeus Apella mon ego. On a pris des mesures pour le faire venir, dites nous donc ce que vous savés de tout cela. Nous ferons de notre côté du mieux que nous pourrons pour découvrir tout ce mistère. Bonjour mon très cher et très illustre ami que j'aime de tout mon coeur. Je suis bien sincèremt et bien fidèlemt tout à vous.
Thieriot