aux Délices [23 August 1755]
On vous lit des choses bien édifiantes, madame, dans le couvent des carmélites.
Je ne doute pas qu'elles ne servent à entretenir votre dévotion. Si vous n'êtes pas encore convaincue du pouvoir de la grâce, vous devez l'être de celui de la destinée; elle m'a fait quitter Cirey après l'avoir embelli, elle vous a fait quitter votre terre, lorsque vous en rendiez la demeure plus agréable que jamais, elle a fait mourir mde Du Châtelet en Lorraine, elle m'a conduit sur les bords du lac de Genève, elle vous a campée aux carmélites. C'est ainsi qu'elle se joue des hommes qui ne sont que des atomes en mouvement, soumis à la loi générale qui les éparpille dans le grand choc des événements du monde, qu'ils ne peuvent ni prévoir, ni prévenir, ni comprendre, et dont ils croient quelquefois être les maîtres. Je bénis cette destinée de ce que mm. vos enfants sont placés. Je vous souhaite, madame, du bonheur, s'il y en a, de la tranquillité au moins, tout insipide qu'elle est, de la santé qui est le vrai bien, et qui est cependant un bien trop peu senti. Conservez moi de l'amitié. Les roues de la machine du monde sont engrenées de façon à ne me pas laisser l'espérance de vous revoir, mais mon tendre respect pour vous, madame, sera toujours dans mon cœur.