Aux Délices, 29 juillet [1755]
Vous m'aviez mandé, mon cher philosophe, que l'infâme manuscrit en question était à Lausanne, vous aviez bien raison.
G***est venu de Lausanne me proposer de l'acheter pour cinquante louis, et pour me mettre en goût, il m'en a montré une feuille. Je n'ai jamais rien vu de plus plat et de plus horrible, cela est fait par le laquais d'un athée. Mon indignation ne m'a pas permis de différer un moment à envoyer la feuille au magistrat de Genève. On a mis sur le champ G***en prison; il a dit qu'il tenait cette feuille d'un honnête homme, nommé Maubert, ci-devant capucin, et arrivé depuis peu de Lausanne. Ce capucin était apparemment l'aumônier de Mandrin; on l'a arrêté, on a visité ses papiers, on n'a rien trouvé, mais on lui a dit que si l'ouvrage paraissait, en quelque lieu que ce fût, on s'en prendrait à lui. Le conseil de Genève ne pouvait me marquer ni plus de bonté, ni plus de justice. G***a été chassé de la ville, en sortant de prison. Il serait bon que mr Bousquet connût cet homme, qui est ici très connu, et absolument décrié. J'ai cru devoir, mon cher philosophe, ces détails à votre amitié. Cette affaire et ma mauvaise santé reculent encore mon voyage de Monrion. Vous voyez quels chagrins viennent encore m'assiéger dans ma retraite. Il faut souffrir jusqu'à la fin de sa vie; mais on souffre avec patience, quand on a des amis tels que vous.
Madame Denis et moi, nous présentons nos obéissances aux deux philosophes. Je vous embrasse tendrement.
Madame Goll est à Colmar dans une situation bien triste. Je vous embrasse.
V.