1755-01-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Louis Lekain.

Mon cher Orosmane, venez à Dijon où l'on vous admire, et de là dans une maison où l'on vous chérit.
Si vous voulez que j'écrive à Monsieur le Maréchal de Richelieu pour vous faire obtenir un congé, je hazarderai ma faible récommandation, et Madame Denis y ajoutera la sienne qui n'est pas faible. J'aimerai jusqu'au dernier moment le spectacle de Paris qui fait le plus d'honneur à la nation mais je vous aimerai encor d'avantage; faites mes compliments, je vous en prie, à tous vos camarades. J'ai lû le triumvirat, j'y ai trouvé de très-belles choses. Ce n'est point Mr. de Crébillon qui a quatrevingt ans, c'est moi, car c'est la maladie qui fait la viellesse et qui détruit les talents. Mais rien ne détruit mon goût pour les talents des autres et surtout pour ceux que vous possédez.

Adieu, je vous embrasse de tout mon coeur.

Je vous embrasse tendrement.

Voltaire

Pour moi qui me porte bien Monsieur je trouve le triumvirat détestable. Mais je meurs d'envie de vous voir aussi bien que mon Oncle, je suis fort flatée de votre souvenir. Venez voir le malade et sa garde, vous serez reçu avec le plus grand plaisir du monde, et mon Oncle n'aura peutêtre pas le Coeur assez dur pour vous laisser partir les mains vides. On a eu beau essaier de persuader au public que mon Oncle avoit fait le triumvirat, celui de Crebillon n'en a pas paru meilleur. Quel follie de répandre de pareils bruits.

Adieu Monsieur, allez à Dijon vous faire admirer et venez nous voir, nous aimons autant votre personne que vos talens.

Denis