1754-08-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

L'épuisement où je suis mon cher et respectable ami, m'interdit les 5 actes puisqu'il m'empêche de vous écrire de ma main.

Vous m'avouerez qu'à mon âge trois fois sont bien honnêtes; j'ai été jusqu'à cinq pour vous plaire, mais en vérité ce n'était que cinq langueurs. Comptez que j'ai fait tout ce que j'ai pu pour m'échauffer le tempérament. Je vous conjure d'ailleurs de tâcher de croire que chaque sujet a son étendue, que la mort de César serait plus détestable en 5 actes et que nos Chinois sont beaucoup plus intéressants et beaucoup plus faits pour le théâtre. J'aurai, je crois, le temps de les garder encore puisqu'on va donner le Triumvirat. Le public aura grâce à vos bontés une suite de l'histoire romaine sur le théâtre. Vous ferez une action de Romain si vous parvenez à faire jouer Rome sauvée.

Mde Denis n'a point le chiffon dont vous parlez. Comment avez vous pu croire qu'elle ait apporté un manuscrit inutile quand l'ouvrage est imprimé? Je vous supplie mon cher ange de daigner remédier à cet inconvénient en faisant copier les rôles sur l'imprimé par un homme intelligent. M. de Tibouville ne pourrait il pas vous aider dans cette négociation? Je payerai la peine du copiste, il ne s'agit plus que d'en trouver un. J'enverrai un petit mandement sur m. De La Leu.

Les sentiments de Le Kain me plaisent autant que ses talents. Mais il faut que je renonce au plaisir de l'entendre. C'est une injustice bien criante, de me rendre responsable de deux volumes impertinents que l'imposture et l'ignorance ont publiés sous mon nom. Je ferai voir bientôt qu'il y a quelque différence entre mon style et celui de Jean Néaulme. On aurait dû me plaindre plutôt que de se fâcher contre moi; mais je suis accoutumé à ces petites méprises de la sottise et de la méchanceté humaine. Vous m'en consolez mon cher ange. Protégez bien Rome et la Chine pendant que je suis encore sur les bords du Rhin. Mille tendres respects à mde d'Argental. Je n'en peux plus mais je vous aime de tout mon cœur.

V.