Monsieur,
La part que vous avez prise à mon malheur et que vous avez à mon élargissement me remplit de la plus vive reconnaissance.
Il m'eût été bien doux de vous voir, de vous remercier à Paris. Que j'en sois dédommagé par le soin que le ciel prendra de votre santé. Que dieu conserve au monde un homme qui lui est si utile. M. de Voltaire peut finir tout doucement: il y aura toujours assez d'arpenteurs de syllabes, de vernisseurs de pensées, mais dieu vous conserve. Je viens d'apprendre qu'on m'a attribué une Vie privée du roi de Prusse: je puis vous protester, monsieur, que j'en apprends l'existence en ce moment, et que si j'ai fait ou fais encore des fautes, elles ne seront jamais de nature à me faire abandonner des personnes qui daignent m'aimer. Ceux dont j'ai l'honneur d'être connu savent que si je fais des remarques dans un pays, ce n'est point sur la cuisine, l'uniforme, les bâtiments. Le style est si bien contrefait qu'il n'y a qu'un homme consommé dans l'imposture qui puisse en être l'auteur. Et comment aurais je pu écrire des choses que je n'ai jamais pu savoir ni ne puis croire? Comment un pareil monstre aurait il été formé il y a quinze mois, aurait paru dans le temps que je n'étais plus au monde, et n'aurait laissé de lui aucune trace dans mes papiers dont on fit la visite la plus exacte? Ce qui me fait appuyer là dessus, c'est que le commissaire de la Bastille m'a insinué que je n'y étais pas pour m. de Voltaire. Et ce qui me console, c'est une lettre que m. de la Condamine montre où le roi juge coupable le seul homme qui peut l'être.
Je suis avec beaucoup de respect et la plus sincère reconnaissance, monsieur, votre…
La Beaumelle
Paris, Hôtel de la Rochelle, rue Beaubourg, ce 12 octobre 1753