1752-04-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Marie de La Condamine.
Grand merci, cher la Condamine,
Du beau présent de l'équateur,
Et de votre lettre badine,
Jointe à la profonde doctrine
De votre esprit calculateur.
Eh bien! vous avez vu l'Afrique,
Constantinople, l'Amérique,
Tous vos pas ont été perdus;
Voulez vous faire enfin fortune?
Hélas! il ne vous reste plus
Qu'à faire un voyage à la lune.
On dit qu'on trouve en son pourpris
Ce qu'on perd aux lieux où nous sommes,
Les services rendus aux hommes,
Et le bien fait à son pays.

Votre paquet du cinq Janvier m'a été rendu au saint temps de Pâques; il aurait eu le temps de faire le voyage du Brésil; je devais, mon cher arpenteur des astres, vous envoyer l'histoire terrestre de Louis XIV; mais il y a trop de fautes de la part de l'éditeur, & de la mienne trop d'omissions & trop de péchés de commission. Je ne regarde cette esquisse que comme l'assemblage de quelques études dont je pourrai faire un tableau avec le secours des remarques qu'on m'a envoyées, & alors je vous prierai de l'accepter & de me juger. C'est un petit monument que je tâche d'élever à la gloire de ma patrie; mais il y a quelques pierres mal jointes qui pourraient me tomber sur le nez.

Ce n'est pas dans la lune que j'ai voyagé, avec Astolphe & saint Jean, pour trouver le fruit de mes peines; c'est dans le temple de la philosophie, de la gloire & du repos. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur, & je vous aimerai toujours, fussé-je dans la lune.