1753-06-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Ne soyez point en peine de moy ma chère nièce, vous m'avez tenu lieu de fille, vous n'aurez bientôt plus de père.
Acoutumez vous à me regarder comme un homme mort. J'ay rempli tous mes devoirs auprès du Roy de Prusse, et j'ay été fort au delà, ne croyant pas pouvoir trop faire pour luy marquer mon respect et ma soumission. Il redemandait le livre de poésies dont il m'avait gratifié, j'ay sacrifié ma santé et ma liberté jusqu'à ce que le livre revînt. J'ay mis en dépost chez mr Freitag mes papiers; et ma caisse où était le livre du roy de Prusse est encor entre les mains de M. Freitag avec tous mes effets. J'ay son billet d'honneur au nom du Roy son maître de me laisser partir quand ce livre sera retrouvé. Il manque à sa parole, il me retient encor prisonier, sans dire la moindre raison, sans me montrer le moindre ordre du Roy son maître, sans en avoir informé le magistrat. Dans un état aussi violent, ma maladie ayant considérablement augmenté, et n'ayant plus que la mort à espérer, je vais l'attendre dans une solitude.