Paris, le 6 février 1753

Monsieur,

Rien n'égale le plaisir que m'a fait votre lettre parce que rien n'égale la vénération que j'ai pour vous.
Vous m'assurez des sentiments que j'ai toujours souhaité que vous eussiez pour moi. Il me la fallait bien pour me dédommager des impostures dont le vieux pécheur remplit Paris. Il a osé écrire qu'il ne me connaissait que par les services qu'il m'avait rendus à Copenhague et à Berlin, qu'il m'avait tiré de prison et que, contre le sentiment commun, il avait soutenu que je n'étais point l'auteur de je ne sais quel libelle intitulé: Les amours de Berlin où se trouvaient les lettres itiniales de mon nom. Ce n'est encore rien. Il a prié ceux à qui il écrivait ces lettres de me les montrer, ajoutant qu'il avait apaisé le roi irrité de mon Qu'en dira-t-on. Ses nouvelles du 17 janvier disent qu'il a renvoyé trois fois au roi son cordon et sa clef, et que le tout a fini pour consentir à souper avec lui. On a su ici toutes ses noirceurs à votre égard, sa jalousie a fait horreur, sa diatribe a fait pitié: le mépris public vous a vengé, mais on n'a point vu de relation bien exacte de toute cette affaire. Je suis tous les jours questionné par les personnes qui doivent être les mieux instruites. Je vous supplie très instamment, m., de charger quelqu'un de dresser un détail de toutes ces choses, ab ovo usque ad mala. Un écrit un peu circonstancié ne sera point inutile à votre gloire, et fera grand plaisir à vos amis. M. de Montesquieu est arrivé avec votre lettre. Je lui ai tout conté. Je lui ai dit combien vous l'aimiez, il m'a dit combien il vous aimait; il prétend que la seule chose dont on vous blâme ici, je veux dire d'avoir été trop sensible aux invectives de Voltaire, vous fait réellement beaucoup d'honneur, attendu que non seulement cette sensibilité ne vous a rien conseillé d'indigne de vous, mais même qu'il n'en reste aucun vestige….