1752-07-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gottfried Christian Freiesleben.

Monsieur,

Vous me faites beaucoup regretter de ne pas entendre l'allemand, vous écrivez dans notre langue avec tant de pureté, que je ne doute pas que vous ne donniez à la vôtre des agréments qui la rendent digne d'être apprise par les étrangers.
Mais je suis trop vieux pour mettre de nouveaux mots dans ma tête. A mon âge il ne faut plus que des idées: et encore a-t-on bien de la peine à en trouver des vraies. Le Micromegas que vous avez embelli, est une bagatelle faite il y a environ quinze ans, qu'on s'est avisé d'imprimer l'année passée. Ce badinage vaut du moins au public une préface de votre façon où il y a plus de véritable philosophie qu'il n'y a de plaisanterie dans mon ouvrage. C'est unfrontispice régulier que vous avez placé au devant d'un château de cartes.

nar di parvus onyx eliciet merum.

Vous ne sauriez croire monsieur avec quel plaisir je vois que cette philosophie qui s'élève au dessus des vanités des systèmes et des vanités humaines s'établit dans un pays où ces deux chimères ont pourtant un grand crédit. Je suis auprès d'un roi qui a le courage de penser comme nous, tout roi qu'il est, et s'il n'avait pas cette philosophie, je ne serais pas auprès de lui. Je serais étonné des beaux vers que vous faites en français, si ce roi dont j'ai l'honneur de vous parler, ne m'avait accoutumé à ce miracle. Je sens à la fois tout le prix des choses que vous me dites et combien j'en suis indigne. Pardonnez moi de ne vous répondre qu'en prose. Il faut de la santé et du loisir pour faire des vers, et malheureusement je suis très malade et très occupé. J'ai lu avec beaucoup de plaisir ceux que vous avez faits pour monseigneur le prince héréditaire de Gotha. J'ai eu l'honneur de lui faire ma cour il y a quelques années à Paris et je voudrais bien qu'il daignât se souvenir de moi. Son altesse sérme madame la duchesse sa mère a bien voulu recevoir avec bonté quelques hommages que je lui ay adressés. Son indulgence m'enhardirait à venir me mettre à ses pieds et à ceux de monseigneur le duc si je pouvais exécuter les voyages que j'ai eu toujours dessein de faire.

Puis je vous prier monsieur de leur présenter mes très profonds respects?

J'ai l'honneur d'être avec les sentiments d'estime et de reconnaissance que je vous dois

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire