1752-03-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Louis Lekain.

Une maladie assez longue et assez dangereuse, Monsieur, dont je ne suis pas encor bien remis, ne me permet pas de vous répondre de ma main.
Je suis bien étonné d'apprendre par votre lettre que vous n'avez eû que depuis peu vos lettres de réception. J'ai connu des acteurs qui étaient excellens pour moucher les chandelles et qui furent reçus à une part entière dès qu'ils parurent. Pour vous, vous vous êtes borné à faire les délices du public. Il faudra bien que les grâces de la cour viennent ensuite. Mais il y a plus d'un métier dans lequel on travaille pour des ingrats. Au reste je ne serais point surpris que Rome sauvée ne fût perduë. Cicéron était fort bon pour la tribune aux harangues, mais je doute qu'il réussisse auprès des belles dames de vos premières loges, et le parterre n'est pas toujours composé de romains. Je vous prie de faire bien mes complimens à votre ami; je compte que cette lettre lui servira de réponse. Vous ne doutez pas de mon envie de lui rendre service; mais les circonstances présentes et le grand nombre des surnuméraires rend la chose impraticable. Il me paraît avoir un mérite fait pour percer dans Paris si les talents y réussissent.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

Volt.