1751-06-22, de Laurent Angliviel de La Beaumelle à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous remercie, monsieur, de l'intérêt que vous voulez bien prendre à notre recueil d'auteurs français.
L'on n'y fera entrer que les ouvrages du premier et du second beau; les vôtres, monsieur, y ont donc un droit incontestable. L'exemplaire de la Henriade, que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer, est fort exactement corrigé; je le ferai copier fidèlement, et il ne nous sera pas difficile d'exécuter ici cette édition avec plus de goût qu'on ne l'a fait en Allemagne. Quoique pour le gros du public il n'y ait guère à corriger dans ce poème que quelques fautes d'orthographe, vous l'avouerai-je, monsieur? j'ai été surpris de ne pas trouver des corrections plus essentielles dans un exemplaire que vous avez revu apparemment comme le dernier que vous reverriez, puisque le plus haut degré de gloire où puisse parvenir un livre est d'être classique du vivant de son auteur. Je m'étais flatté que vous retrancheriez quelques morceaux, que vous changeriez quelques vers, que vous rayeriez quelques fautes de langage, et pulcro inspersos corpore nævos. Daignez du moins, monsieur, quand ce ne serait que pour donner quelque supériorité à mon édition, corriger trois ou quatre endroits qui, sûrement, ne vous ont jamais plu.

Qui par le malheur même apprit à gouverner  . . . Même annonce quelque chose d'extraordinaire, et cependant rien de plus ordinaire que d'apprendre à gouverner par le malheur.

Valois régnait encore, ou plutôt, en effet, Valois ne régnait plus . . .

S'il m'était permis de faire des notes à ce recueil de classiques, je dirais que je doute si ce début est bien digne de la majesté de l'épopée.

Ah! si du grand Henry ton culte est ignoré
Par qui le Roi des rois veut-il être adoré? . . .

On dit que ces deux vers ne vont pas bien dans la bouche de Saint Louis; du moins est il sûr qu'ils ne s'accordent point avec les idées que les déistes et les chrétiens ont de dieu et des hommes. . . .

Faites moi la grâce, monsieur, de changer ces bagatelles. . . .

Jetez les yeux sur cette liste; voyez, corrigez, augmentez; je vous en laisse le maître, pourvu que vous la signiez. . . . Comme m. de Bernstorff favorise beaucoup cette entreprise et m'a témoigné d'être prêt d'entrer dans les moindres détails, je lui envoie aujourd'hui la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire à ce sujet. Il sera bien aise d'avoir votre avis là dessus et bien flatté de vos sentiments pour lui.

J'ai l'honneur d'être,

La Beaumelle