1751-04-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Non pas s'il vous plaît, vous ne me préviendrez jamais ny par les sentiments ny par les attentions et la preuve en est que je joints icy la lettre que Monsieur Algarotti devoit vous rendre hier.
Il ne partira que demain, et je vous réponds aujourduy par votre courier.

Je commence par vous assurer qu'il est très faux que Le roy ait conçu de vous la plus légère impression qui vous fût défavorable. Je peux vous en parler en connaissance de cause. Le hazard a fait que j'ay eu l'honneur de souper en tiers avec luy deux fois. N'allez pas s'il vous plaît le dire, car je n'y souperais plus. Il fut fort question de vous, et le roy ne tarit point sur vos louanges.

Je ne sçais si j'aurai l'honneur de souper avec luy aujourduy, mais vous pensez bien que si la chose arrive, je profiteray du moment pour parler de vos affaires selon vos intentions. En attendant je vous fais mon compliment et je bénis le roy du Dannemark. Je voi qu'il y a encor de la justice sur la terre, et j'espère que vous finirez par triompher de tout. Il est impossible qu'avec tant de courage, et une aussi bonne cause vous ne veniez à bout de touttes vos entreprises.

Les histoires de la cour de Berlin sont plaisament honteuses. La nature ne s'accomode pas de bien des choses qu'on voit dans ce monde. J'ay brûlé votre lettre, ayez la même bonté pour la mienne.

Le temps ne vous dure guères, vous croiez qu'il y a quinze jours que je suis à Potsdam, et moy madame je sens trop bien qu'il y a réellement un mois et dix jours que je suis loin de vous. Ce que je sçai tout aussi bien c'est que je voudrais passer avec vous ma vie, et qu'en quelque endroit que j'en traîne les misérables restes je vous serai attaché jusqu'au dernier moment.

V.