1751-02-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville.

Je reçois à la fois vos deux lettres mon cher duc d'Alençon.
Vous ignorez peutêtre qu'il a plu à la divine providence de me faire deux niches, l'une par le moyen d'un échappé de l'ancien testament qui a voulu me voler à Berlin 50000ltet L'autre par un échappé du Sistème nommé André, qui s'est avisé de faire saisir tout mon bien à Paris pour une prétendue dette de billets de banque, qu'il a la mauvaise foy et L'impudence de renouveller, juste au bout de trente ans. Il a retrouvé un torchecu du temps du visa, il a vendu sans m'en dire un mot ce torchecu à un procureur, et ce procureur me poursuit avec touttes les horreurs de son métier; voylà le cas où je me trouve et cette avantur imprévue ne me tourmenteroit pas sans vous. Si je peux réussir à plâtrer une trêve avec ce maraut de procureur, je suis à vous sur le champ et dans tous les quarts d'heure de ma vie. Quand je dis que je suis à vous, c'est de ma bourse et de mon cœur que je parle car pour ma présence réelle, n'y comptez pas sitost. Ny ma santé ny d'autres raisons ne peuvent me permettre d'aller à Paris dans le temps que je m'étois prescrit. Aimez moy, dites aux anges et à ma nièce qu'il faut qu'ils m'aiment. Je n'écris personne cet ordinaire, pas même à made Denis. Ma santé est misérable. Adieu, je vous embrasse tendrement mon cher Catilina.

V.