1771-10-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

J’ai bien vu, mon ancien ami, que vos sentiments pour moi ne sont point affaiblis, puisque vous m’avez envoié Mr Bacon.
C’est un homme qui pense comme il faut, et qui me parait avoir autant de goût que de simplicité. Il serait à souhaitter que tous les procureurs généraux eussent été aussi humains et aussi honnêtes que leur substitut. Il m’aprend que vous avez changé encor de logement, et que vous êtes dans une situation assez agréable. Vivez et jouïssez. Vous aprochez de la soixante et dixième, et moi de la soixante et dixhuitième. Voilà le tems de songer bien sérieusement à la conservation du reste de son être, de se prescrire un bon régime, de compter son corps pour beaucoup et son âme pour fort peu de chose, de se faire des plaisirs faciles qui ne laissent après eux aucune peine. Je tâche d’en user ainsi; j’aurais voulu partager cette petite philosophie avec vous, mais ma destinée veut que je meure à Ferney. J’y ai établi une colonie d’artistes qui a besoin de ma présence. C’est une grande consolation que de rendre ses derniers jours utiles, et ce plaisir tient lieu de tous les plaisirs.

Adieu, portez vous bien, et conservez moi une amitié dont je sens le charme aussi vivement que si je n’avais que trente ans.

V.