1750-01-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas René Berryer de Ravenoville.

Monsieur,

Si vous vous êtes amusé à lire mon factum pour le Card.
de Richelieu contre ceux qui luy imputent un très mauvais ouvrage, je vous suplie de me le renvoyer, j'ay encor de très fortes raisons à y ajouter, et j'ay surtout à faire voir ce que c'est que le manuscrit qui est à la Sorbonne depuis l'an 1664. C'est assurément une nouvelle preuve de L'imposture, et qui sert à découvrir le nom de l'imposteur. M. le maréchal de Richelieu vint chez moy avant hier, et ne trouva point du tout mauvais que je détrompe le public.

J'ay une autre affaire monsieur dans la quelle je vous demande, si vous le permettez, vos conseils et votre protection. Je vous avois bien dit que les muses me ramèneroient encor à votre tribunal, j'ay fait la tragédie d'Oreste, c'est le même sujet que L'Electre de Mr Crebillon. J'avois envie de vous prier de remettre l'aprobation de la pièce à M. le président Hénaut et d'en parler à M. d'Argenson, afin d'éviter les avantures auxquelles cette vieille mégère de Villeneuve et ses chiens exposent les manuscrits. Mais je ne sçai s'il ne sera pas mieux de touttes façons, que j'aille moy même de votre part chez M. Crebillon. C'est au bout du compte mon confrère et mon ancien. Les démarches honnêtes sont toujours nobles. Je luy diray qu'en travaillant sur le même sujet je n'ay pas prétendu l'égaler, que je luy rends justice dans un discours que je feray prononcer avant la représentation et que j'ose compter sur son amitié. Ceprocédé, et un petit billet de vous que j'ose vous demander pour le luy rendre, doivent le désarmer. Il n'est guère possible qu'il ne fasse son devoir de bonne grâce. Le grand point est qu'il ne garde pas longtemps le manuscript. C'est à quoy vos intentions l'engageront quand votre billet les luy aura aprises. Je vous aporteray les deux exemplaires signez de sa main. Je vous suplie monsieur de vouloir bien m'honorer de vos ordres aussi promptement que vos grandes occupations pouront vous le permettre.

J'ay l'honneur d'être avec la plus grande confiance en vos bontez et l'attachement le plus respectueux,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Voltaire