dimanche 11 mai [1749]
Point de lettres de v͞s aujourdhui, voilà qui est afreux, ce n'est pas p͞r me rendre ma confiance et la tranquilité d'esprit nécessaire à la vie que ie mène.
Imaginés si v͞s pouués ce que c'est que d'être du jeudi au dimanche à attendre vne lettre, et que cette lettre n'arique point, tous mes soupçons alors me reprennent, et ie suis très malheureuse quand la réflexion se mêle d'examiner votre conduitte. Je v͞s auois toujours mandé qu'au retour du roy i'exigeois que v͞s fussiés à Nanci, il est bien singulier que cette garde à remplacer se trouue précisém͞t placée dans le mois du retour du roy, et il me semble que comtant que ie reviendrois au mois de mai, et étant conuenu que v͞s viendriés au deuant de moi, et que n͞s passerions quelques jours à Cirey, v͞s n'auriés jamais dû la placer ou l'accepter dans le mois de mai, le hazard v͞s sert toujours bien singulièrem͞t pour m'inquiéter. I'espère du moins que le 1er de juin v͞s irés à Nanci, et que v͞s n'en sortirés pas que p͞r venir à Cirey. Ie me reproche l'impatience extrême que i'ay d'y être, s'il faloit p͞r abréger le tems de notre séparation que v͞s prisiés autant que moi sur ce que ie pourois apeler des deuoirs assurém͞t, v͞s ne le feriés pas. Ie me lève à 9 heures, ie ne soupe plus en ville, ie ne reçois persone que le p. et ie trauaille presque tous les jours jusqu'à 5 heures du matin, mais p͞r soutenir cette vie là il faut auoir du moins l'esprit tranquille, et v͞s ne cessés de l'agiter, v͞s ne m'escriués jamais qu'à 10 heures du soir, moienant quoi vos lettres ne partent point, peu v͞s importe que cela m'inquiète et m'aflige. Ne puis-je, ne doisje pas même penser, quand v͞s escriués trop tard, ou que v͞s n'escriués point, car cela v͞s est ariué, que v͞s me sacrifiés à des choses plus agréables? Sans cela v͞s deuriés asurém͞t à Luneuille trouuer le tems d'une lettre tous les trois jours. Ie remarque encore que depuis que le tems de mon retour s'aproche v͞s ne m'en presés plus. Ie suis bien sotte moi de me tuer p͞r partir plutôt, v͞s vouliés que ie fussel le 20 mai à Cirei, et v͞s v͞s êtes mis volontairem͞t dans l'imposibilité d'y être. Ie crois que i'ariuerai trop tôt p͞r v͞s, en ce cas il v͞s est bien aisé de m'empêcher d'ariuer, il n'i a jamais eu que v͞s qui aiés mis de l'incertitude dans mon voiage, c'est cependant la pouser trop loin. Si vos inégalités, si vos froideurs, si les contradictions et les obscurités de votre conduite, telles que celle de votre garde du mois de mai quand v͞s éxigiés que i'ariuasse le 20; si tout cela continue, ie ne prendrai pas le parti de rester ici, mais d'incertitudes en incertitudes j'atraperai le 8e mois, tems où il ne me sera plus posible de partir quand ie le voudrois. I'ay toujours le desein de partir mais ie ne prendrai de jour, ie ne le manderai à m. du Chatelet, ie ne donerai les ordres définitifs en conséquence, que quand ie serai contente de v͞s, de votre conduite, de votre amour, de votre impatience, que ie sens bien qui diminue tous les jours. En répondant à cette lettre éxactem͞t, ce que v͞s ne ferés point, car depuis longtems v͞s m'escriués sans me répondre, il se passera huit ou 10 jours. Si je ne suis pas contente de votre réponse, il m'en faudra encore autant, le mois de juin ariuera, et ie ne partirai point, car si ie ne suis pas à Luneuille auant le 1er juillet qui est le 8 ie ne partirai pas, peutêtre estce ce que v͞s désirés, peutêtre êtes v͞s embarasé de tout l'amour que ie v͞s ai fait voir, mais pour quoi chercher des détours, il v͞s est fort aisé de v͞s défaire de moi, au moins de ma présence p͞r cette anée, et le tems, ou mes couches, v͞s en déferont sûrem͞t tout à fait. V͞s n'aués jamais répondu aux reproches que ie v͞s ai fait sur la lettre que v͞s aués escrit au che͞r de Listenai. Répondés à celle ci du moins mais répondés à tout, croiés que ie ne l'oublierai point, et songés qu'il faut décider mes marches, et qu'il est plus que tens. Le V. n'a pas reçu de lettre, v͞s l'aués peutêtre reçue p͞r lui. Adieu, v͞s voiés bien que v͞s me mettés au désespoir.