1748-09-03, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Jean François de Saint-Lambert, marquis de Saint-Lambert.

Ie reçois vne petite lettre de vous, ie regrettois bien de n'auoir point celle dont v͞s me parliés, ie la reçois par vn exprès, ie le fais attendre p͞r v͞s escrire plus au long, v͞s sentés bien que ie suis affligée et enchantée que v͞s m'aiés enuoié cet exprès.
Ie ne veux pas que ce courier cy parte sans v͞s porter des marques de mon amour, il est bien triste, bien afligé, et bien tendre. Ie ne sais plus quand ie v͞s reuerai, ie ne puis parler vn moment à m͞e Bouflers, elle n'est jamais seule. Elle a quelque chose très fort, elle l'aura peutêtre jusqu'au retour du roy. Elle n'en est ie crois pas trop fâchée; elle s'amuse ici, moi i'y péris. Cela est tout simple; mais ce n'est pas de l'amusem͞t que ie cherche, i'en suis incapable. Ie v͞s ai escrit par Lanoy, ie v͞s ai escrit par la poste, ie pasai hier la journée à v͞s écrire, ie v͞s enuoie ma lettre, la poste n'est pas trop exacte, mais elle ariue tost ou tard, qu'il n'en parte point sans m'aporter des marques de votre amour. N͞s n'irons point ie crois à Sauerne. I'en suis bien aise, ie n'i gagnerai pas de tems car n͞s resterons ici plus que ie n'i aurois été, mais v͞s auriés pu croire que ie m'y amusois et ie sens que c'est vn bonheur p͞r moi d'être sûre de calmer vos soupçons. Quand v͞s saurés la manière dont ie vis ici, v͞s verés bien que v͞s ne deués que me plaindre et m'aimer, ie sens que ie v͞s pardone toutes vos injustices, et que ie n'en aurai jamais.