1747-12-31, de François Thomas Marie de Baculard d'Arnaud à Marie Louise Denis.

Sans doute, madame, que voilà votre coeur, et votre esprit dans un étourdissement de physique.
L'amitié, ce sentiment dont tout le monde parle et que personne ne connait, l'amitié disje auroit lieu de se plaindre de vous, on se traine à la comédie pour vous, on vous sacrifie pour ainsi dire sa vie et l'heureuse madame du Bocage est aujourd'hui votre objet favori, etc. Bien, madame, ce phénix de votre sexe vu de près est il aussi admirable? a t'elle réellement l'entousiasme du poète? Je crains bien qu'elle ne soit du nombre de ces femmes qui indignées contre ce maudit tems qui les vieillit rabattent à toute force sur l'esprit, passés moi ce petit soupçon médisant:

C'est à vous que j'écris, à vous à qui mon coeur
Ose développer ses replis les plus sombres,
Votre nom seul en dissipe les ombres,
Quand je vous vois, ô Dieux, quel est donc mon bonheur?
Mais où m'emporte hélas un sentiment vainqueur?
L'amitié doit être moins vive.
O Dieux si de l'amour votre couroux me prive
Que l'amitié du moins en ait toute l'ardeur;

Je regarde une femme qui se met à l'amitié comme une malade qui veut vivre de régime, et assurément, vous avés beau vous plaindre, et décrier votre estomach, vous avés la meilleure santé du monde.

Avancés vous à grands pas dans votre cours de phisique? Ce monsieur Pagni là est un monstre, car le peu de sentiment (fût ce même un sentiment de compassion, le dernier de tous) que vous pouviés donner sans conséquence, il vous l'a entièrement enlevé.

Que je vous plains! de l'esprit possédée,
Ne connaitrés vous donc jamais
Le plaisir, et la douce idée
D'avoir un coeur sensible, ouvert aux moindres traits,
Le mien jusqu'à présent m'a causé bien des peines.
Je ne le sçai que trop, grâce à votre froideur,
Mais malgré les chagrins, les disgrâces certaines
Dont l'avenir promet de combler mon malheur
J'aime encor mieux des dieux avoir reçu ce coeur
Que votre esprit, cet esprit inventeur,
Qui s'égarant en des recherches vaines,
Ne vous fera jamais goûter qu'un faux bonheur.
Croyés moi, ce n'est point dans les écrits d'Athènes,
Chés ce Voltaire, enfin de la France l'honneur,
Qu'on trouve le plaisir, il est dans nôtre coeur;

mais je vous parle là un langage que vous n'entendés point. De quoi donc vous parler? de matières toutes spirituelles? Ah madame, ce sujet là est épuisé; de l'amitié? j'ose vous dire que vous la connoissés peu, et puis l'amitié chés vous autres est si froide, si froide, si dépourvüe d'alentours intéressants. Lisés bien la statue de Pigmalion, vous êtes bien dans le cas d'être animée. En vérité je ne sçais ce que je dis, vous pardonnerés à un pauvre fébricitant. Je vous dirai en confidence qu'on m'a saigné 3 fois, et que j'ai été très mal.

Mais à qui vaisje hélas parler de ma santé?
Estce à vous que rien n'intéresse,
Qu'on ne peut soupçonner de la moindre tendresse?
Vous qui n'avés enfin aucune humanité?

Les malades ont des droits, il est vrai, que toutes ces plaintes élégiaques sont bien des plaintes perdües, et quelle différence entre nous de façon de sentir! Je suis mourant, cela n'est que trop véritable, et j'envoye sçavoir des nouvelles de quelqu'un qui assurément jouit d'une parfaite santé, mais les bons coeurs là dessus sont toujours dans l'incertitude; adieu, madame, vous avés beau faire vous n'en serés pas moins aimable.