1746-05-13, de Antoine Louis de Chalamond de La Visclède à Voltaire [François Marie Arouet].

Agréez, Monsieur et très illustre confrère, qu'à la faveur du nouveau lien qui nous unit je vous fasse mon compliment sur la justice que l'Académie françoise vient de vous rendre.

La nôtre me charge de vous assurer de sa part qu'elle l'a apprise avec les sentimens qu'elle vous doit. Non qu'elle regarde votre entrée à l'Académie françoise comme quelque chose de bien essentiel pour vous. Votre gloire n'a pas besoin de décoration extérieure. Tout ce qu'on en peut dire c'est que la chose étoit de convenance. Vous manquiez à cette illustre compagnie faite pour réunir tous les talens supérieurs de la nation. Elle a senti ce vuide. Elle l'a rempli. La seule circonstance qui paroît flatteuse dans votre Election c'est que le Roi a témoigné la souhaiter.

Revenons à notre Académie. Loin de penser que votre nouveau titre, qui en est un de supériorité sur elle, vous rende plus indiférent à son égard, elle est persüadée au contraire que devenu Membre de la Mère, vous n'en aurez que plus de tendresse pour la fille, et que vous n'oublierez pas que cellecy est la première société littéraire du Royaume dans laquelle vous soyez entré, et permettez nous de le dire, dans laquelle vous ayez paru entrer avec plaisir. Ainsi elle compte toujours également sur votre affection, sur vos lumières et vos avis dans les occasions sur la communication des nouveaux ouvrages qui partiront de votre plume. Elle attend avec impatience l'histoire des Campagnes du Roi que vous avez bien voulu lui promettre. Cette histoire que le héros et l'historien concourent à rendre si intéressante pour la nation le sera toujours bien plus particulièrement encore pour une compagnie littéraire qui doit son être au premier et qui a l'avantage de compter le second parmi ses membres. Elle verra avec grand plaisir votre discours de Réception qui ne pourra qu'être un modèle de ce qui peut résulter d'excellent de l'élévation du génie et de la délicatesse de l'esprit réunies.

Agréez, Monsieur, que l'Académie profite de cette occasion pour vous envoyer conformément à ses usages l'extrait de ses Registres qui contient votre élection. Il pourra servir à vous rapeller quelquefois l'idée de cette compagnie. Vous trouverez cet extrait simple et laconique. Vous ne devez pas douter que s'il lui étoit permis d'y exprimer ses sentimens à votre égard, il ne fût bien étendu, mais vous sçavez, Monsieur, que les Règles des Compagnies sont générales. D'ailleurs que pourroit elle dire qui ajoutât quelque chose à votre nom? Elle a été très sensible à tout ce que contient d'obligeant pour elle et pour Marseille la dernière lettre dont vous m'avez honoré. Elle me charge de vous en faire ses affectüeux remercimens. Permettez, Monsieur, que j'y joigne les miens au sujet des politesses personnelles qui me regardent. Je sens à quel privilège je les dois: les grands hommes cherchent toujours à encourager. Je tâcherai de mériter les sentimens que vous voulez bien me témoigner par ceux du sincère et respectüeux attachement avec lequel je serai toujours, Monsieur et très illustre confrère, votre très humble et très obéissant serviteur

La Visclède Secrre perp. de l'Académie des Belles Lettres de Marseille