1745-10-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à René Louis de Voyer de Paulmy, marquis d'Argenson.

Vraiment monseigneur ce que je vous ay proposé n'est que dans la supposition que vous crussiez que je pusse apprendre par le chevalier Fakener des circomstances que vous eussiez besoin de savoir.
Je vous ay dit que ce digne chevalier a des sentimens pacifiques; mais je n'en conclus rien. Je me bornois seulement à vous demander si vous pensiez qu'on pût tirer quelque fruit de ses entretiens, et être plus au fait de ce qui se passe. Voylà tout. Si vous ne pensez pas que ce voiage puisse être utile n'en parlez point. J'ay cru seulement devoir vous rendre compte de ma liaison avec le secrétaire du duc de Cumberland. J'aimeray mieux d'ailleurs travailler paisiblement icy à mon histoire que de courir pour aller aux nouvelles.

Il se peut faire de plus que le roy trouve en moy trop d'empressement. Je luy ay pourtant rendu quelque service en Prusse. Mais croyez que je ne prétends point me faire de fête. Encor une fois ce voiage proposé n'est que dans l'idée que vous voulussiez avoir quelque notion par ce canal. Or c'est une curiosité dont vous n'avez pas besoin. Ce que me diroit le chev. Fakener n'empêchera pas le prétendant d'être battant ny d'être battu. Par conséquent voiage inutile. Donc je crois qu'il n'en faut point effaroucher les oreilles du maitre, sauf votre meilleur avis. J'auray mille fois plus de plaisir à vous faire ma cour à Fontainebleau qu'à voir des Anglais. Je compte y retourner quand Mr de Richelieu aura disposé de moy pour ses fêtes. Madame du Chastellet a plus d'envie de vous voir encor que vous n'en avez de causer avec elle. Nous vous sommes attachez solidairement.

Mille tendres respects.

V.