1745-06-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Mon cher amy j'aprends en arrivant que votre amitié vous a conduit icy pour avertir made du Chastellet des belles critiques que L'on fait.

Quant au maréchal de Saxe voicy ce qu'il écrit à madame du Chastellet:

Le roy en a été très content et même il m'a dit que L'ouvrage n'étoit pas susceptible de critique.

Vous sentez bien qu'après cela je dois penser que Le roy est le meilleur et le plus grand connoisseur de son royaume.

Quant au maréchal de Noailles il a été très satisfait, et c'est luy qui a fait au roy la lecture de l'ouvrage. Il n'y a personne à l'armée qui n'ait senti combien il étoit délicat de parler de M. le maréchal de Noailles, L'ancien du maréchal de Saxe, et n'ayant pas le commandement. Les deux vers qui expriment qu'il n'est point jaloux, et qu'il ne regarde que L'intérest de la France, sont un petit trait de politique si ce n'en est pas un de poésie. Et ce sont précisément ces véritez qui donnent à penser à un lecteur judicieux; ces traits si éloignez des lieux comuns, et ces allusions, aux faits qu'on ne doit pas dire hautement, mais qu'on doit faire entendre, ce sont là di-je ces petites finesses qui plaisent aux hommes comme vous et qui échapent à ceux qui ne sont que gens de lettres. Bon soir, je suis excédé, mais l'envie de vous plaire me soutient.

V.