1744-08-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à René Louis de Voyer de Paulmy, marquis d'Argenson.

A propos, je suis un infâme paresseux.
Ah que j'ay tort! que je vous demande pardon monsieur! Vous mariez un fils que j'aime presque autant que son père. Vous écrivez sans cesse aux fermiers généraux, et moy je ne vous écris point. Je disois toujours j'écriray demain; et demain je faisois une plate comédie ballet, pour L'infante dauphine; et je me grondois, et puis j'étois honteux. Je le suis bien encore, mais je passe par dessus tout cela. Pour dieu faites en autant, et aimez moy toujours. Mais y a t'il tant de compliments à vous faire de ce que vous êtes du conseil des finances? Je vous en feray, ou plutôt à la France quand vous serez chancelier, car je veux que vous le soyez pour me dépiquer. N'y manquez pas je vous en conjure, et le plutôt sera le mieux.

Je vous avertis que je viendray chercher bientôt la réponse à mon chifon; et quand vous serez sou des fermes et gabelles et dixièmes et autre grosse besognes je vous liray ma petite drôlerie pour l'infante en présence du nouvau marié. Nous partons vers le 20 de ce mois. Savez vous bien monsieur que mon plus grand chagrin n'est pas de ne vous avoir point écrit, mais de passer ma vie sans vous faire ma cour? Je vous la feray je vous jure, mais quand! Vous ne soupez point, je ne dîne point. Vous allez entendre au conseil des choses assomantes, et j'en fais de frivoles. N'importe; il faut absolument que je reprenne mon habitude de vous soumettre mes rêveries, Dum validus, dùm lætus eris dum denique posces.

Mes respects si vous le permettez à monsieur votre fils, tout comme à vous. Mais malgré mon long et coupable silence, je vous suis dévoué avec l'attachement le plus tendre et le plus vieux. Il y a ne vous déplaise plus de quarante ans. Cela fait frémir. Adieu monsieur, aimez moy un peu je vous en suplie, que j'aye cette consolation dans cette courte vie. Il y a quarante ans o ciel! que je vous aime et je n'ay pas eu l'honneur de vivre avec vous la valeur de quarante jours. Ah! ah!

V.