à Cirey en Champagne 10 juillet [1744]
Je n'ay plus de santé mon cher et respectable amy.
J'ay épuisé le peu qui m'en restoit à travailler à cette fête de notre dauphine. Vous savez qu'il y a un mariage auquel je m'intéressoit bien autant. Madame la markgrave de Bareith m'a mandé une partie des tendres désastres qui vous ont enlevé une des belles personnes de l'Allemagne avec deux cent mille écus. Mais j'attends toujours que vous preniez Lia n'ayant pu avoir Rachel. Je crois vous avoir déjà mandé que cette Lia n'est point du tout chassieuse comme celle de l'écriture, et que c'est un des bons pis aller que vous puissiez avoir. Je ne sçais àprésent où vous êtes. Je croi que nos français sachant combien vous êtes aimable s'aprochent le plus qu'ils peuvent de la Hollande pour souper avec vous.
Vous devez être assez honnêtement considéré à la Haye. Le maître d'Embden et du Vezel est sans doute bien choyé par nos seigneurs les états. Votre esprit de conciliation augmente encor la tendresse naturelle qu'on a pour ses voisins. Mais en vérité indépendemment du bon voisinage, jamais ministre n'a réussy comme vous à la Haye. Si ma santé se rétablit je vous promets bien d'y revenir uniquement pour vous. Nous comptons aller plaider à Bruxelles l'hiver prochain, et je seray à la Haye l'été. Probablement je n'y seray pas seul, je vous amèneray bonne compagnie. En attendant conservez moy une amitié qui contribue tant à ma consolation dans les maux que je soufre. Il y a trois mois que je suis si languissant que je n'ay pu écrire au roy. Je ne peux plus l'amuser, les vers m'abandonnent. Ayez la bonté mon cher amy de luy en faire adroitement mes petites excuses. La dauphine de France m'a succé. Il ne me reste plus de sang poétique dans les veines. Serez vous assez aimable pour faire souvenir de moy le très aimable abbé de la Ville et Le général et surtout la très digne personne qui vous aimant pour vous même vous permet un bon mariage. Adieu cher amy, je vous aimeray tendrement toutte ma vie.
V.