1744-04-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Graf Otto Christoph von Podewils.

Mon cher et illustre amy, voylà le mariage le plus avantageux que vous pusiez jamais faire, et si c'est avec l'aînée, c'est assurément le plus agréable.
Ce n'est pas que la cadette n'ait son prix, mais c'est à l'aînée que vous donnerez la pomme. Elle joint à la bauté et à la plus riche taille du monde, de l'esprit, des connaissances, des talents, et une douceur qui rend sa bauté plus touchante, et ses talents plus charmants. Elle déclame très bien, elle joue des instruments, elle sait parfaitement la musique. Ses cent mille écus d'Allemagne, et même baucoup plus, (car elle est avantagée) ne sont pas à compter. Allez mon cher Pâris, enlevez votre Hélène à Bareith, revenez jouir à la Haye de votre fortune, et d'une femme qui fera votre bonheur, et le charme du plus joly séjour de l'Europe. Je viendray vous féliciter l'un et l'autre dès que nous aurons la paix, car il faut bien que cette paix vienne. Elle est nécessaire à tout le monde, et il n'y a rien à gagner dans la guerre pour vos hollandais. Veulent ils se ruiner à se faire les valets des anglais? ne sont ils pas déjà assez oberrez et faut il qu'ils renoncent au beau titre de médiateurs qui ne coûte rien, pour faire les frais d'une guerre ruineuse?

Je suis édifié de l'envie qu'a le prince royal de lire une histoire qui n'est point un amas de faits mal digérez et devenus inutiles, mais une peinture vraye des sottises et des grandeurs de l'esprit humain, une histoire des mœurs plutôt que des événements. Je luy suis très obligé de sa curiosité; et je tâcheray de n'en être pas indigne. J'en feray faire un exemplaire pour luy et un pour vous et j'aurois eu déjà l'honneur de vous en envoyer un si je n'avois pas baucoup de choses à y ajouter. J'y vais travailler dans ma délicieuse solitude, mais il faut pour transcrire ce long ouvrage, un écrivain qui travaille plus de quatre mois ou deux écrivains qui travaillent chacun deux mois, et que je fasse venir de Paris. Il n'y en a point qui veuille venir à la campagne à moins de deux florins de Hollande par jour, leur voiage payé. C'est une petite dépense d'environ 200 florins en comptant leur salaire, leur voiage, et leur retour. Si son altesse Royale veut bien entrer dans cette dépense elle me fera plaisir, mes affaires étant fort dérangées par les banqueroutes que j'ay essuyées. Dès que vous m'aurez fait savoir ses ordres j'enverray chercher les deux copistes que je feray travailler sous mes yeux, et vous serez servi avec diligence. Si vous avez quelque nouvelle singulière ayez toujours la bonté De m'écrire sous le couvert de M. de la Reiniere, fermier général des postes. Bon soir, me du Chastelet vous fait mille compliments.

V.