1743-09-07, de Graf Otto Christoph von Podewils à Graf Heinrich von Podewils.

… Le lendemain, le roi étant venu en ville, il me fit la grâce de m'ordonner de dîner avec lui dans sa chambre.
S. m. fut de fort bonne humeur et brocarda beaucoup sur les Français. ‘Je vous jure’, dit il à Voltaire, ‘que si tous vos ministres voulaient me servir gratis, je n'en voudrais pas’. Ensuite il nous conta la façon dont Broglie l'avait reçu à Strasbourg. Après quoi il tomba sur les troupes irrégulières des Autrichiens. ‘Est il possible’, reprit il, ‘que vous vous êtes laissé battre par les troupes les plus abjectes et que nous avons honorées du plus parfait mépris? Mais quelle conduite encore que la vôtre en Hollande! Dites un peu, Podewils, les excuses que Fénelon a faites de ce que sa cour ose prendre la liberté de faire quelques retranchements à Dunkerque.’ Il en dit encore plusieurs autres d'extrêmement fortes, comme que 10000 Allemands battraient toujours à coup sûr 30000 Français. Voltaire trouva pourtant moyen de détourner peu à peu la conversation, et Pöllnitz l'ayant fait tomber sur le présent que Voltaire m'avait fait de son portrait, le roi regarda la bague, et je fus obligé de lui réciter les vers dont il l'avait accompagné et que j'ai déjà envoyés à v. e. de La Haye. Voltaire lui ayant dit que j'y avais répondu par quatre autres vers que voici:

Te destinant mon cœur avant de te connaître,
Je songeais à t'en rendre maître.
Au même instant que je te vis,
En vain je le cherchai, fripon, tu l'avais pris.

Le roi m'ordonna de les dire et me fit la grâce de me témoigner qu'il les trouvait jolis.

Comme on parla de l'éxécution du général Lewenhaupt, le roi dit à Voltaire que Broglie avait plutôt mérité ce sort que le général suédois. ‘Nous le savons, sire’, répondit il, ‘mais nous ne coupons pas la tête à qui n'en a point.’

Le discours ayant roulé ensuite sur la vie de feu le cardinal Fleury, il échappa à Voltaire de dire à ce sujet une espèce d'épigramme impromptue que voici:

Admirons la fin ridicule
De l'un et de l'autre Hercule;
Le premier d'eux fila
Et l'autre radota.

Le roi la retint et dit à Pöllnitz de l'écrire, qui malgré les instances de Voltaire la coucha sur le papier. Voltaire, ayant demandé du papier et un crayon, écrivit sur le champ les vers suivants:

Pöllnitz, à mes plaisirs mêlez moins d'amertume;
Je chéris votre esprit, mais je crains votre plume. . . .