1743-06-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Sous vos magnifiques lambris,
Très dorés autrefois, maintenant très pourris,
Emblème et monument des grandeurs de ce monde,
O mon maître, je vous écris,
Navré d'une douleur profonde.
Je suis dans votre vieille cour,
Mais je veux une cour nouvelle,
Une cour où les arts ont fixé leur séjour,
Une cour où mon roi les suit et les appelle,
Et les protège tour à tour.
Envoyez moi Pégase, et je pars dès ce jour.

Mon héros a-t-il reçu mes lettres de Paris, dans lesquelles je lui mandais que je m'échappais pour lui aller faire ma cour? Je les envoyai à David Gérard, et le dessus était à m. Frédéricshof. Or David Gérard n'est pas sans doute assez imbécile pour ne pas sentir que ce m. Frédéricshof est le plus grand roi que nous ayons, le plus grand homme, celui qui a mon cœur, celui dont la présence me rendrait heureux pendant quelques jours.

J'attends donc à la Haye, chez m. de Podevilz, les ordres de votre humanité, et le forespan de votre majesté.

Que je voie encore une fois le grand Frédéric, et que je ne voie point ce cuistre de Boyer, cet ancien évêque de Mirepoix, qui me plairait beaucoup s'il était plus ancien d'une vingtaine d'années au moins.

Pour vous, grand roi, si votre diable
Vous promène au son du tambour
Dans Stétin ou dans Magdebourg,
Mon bon ange plus favorable
Va me conduire à votre cour,
Au son de votre lyre aimable.

Je suis ici chez votre digne et aimable ministre, qui est inconsolable, et qui ne dort ni ne mange parce que les Hollandais veulent à trop bon marché la terre d'un grand roi. Il faut pourtant, sire, s'accoutumer à voir les Hollandais aimer l'argent autant que je vous aime.

Quand quitterai-je, hélas! cette humide province,
Pour voir mon héros et mon prince?