1743-06-25, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
Oui, votre mérite, proscrit
Et persécuté par l'envie,
Dans Berlin, qui vous applaudit,
Aura son temple et sa patrie.

Je suis jusqu'à présent plus errant que le juif que d'Argens fait écrire et voyager. Nouveau Sisyphe, je fais tourner la roue à laquelle je suis condamné de travailler; et, tantôt dans une province et tantôt dans l'autre, je donne l'impulsion au mouvement de mon petit état, affermissant sous l'ombre de la paix ce que je dois aux bras de la guerre, réformant les vieux abus, et donnant lieu aux nouveaux, enfin, corrigeant les fautes et en faisant de semblables. Cette vie tumultueuse pourra durer jusqu'au mois d'août à moins que le lutin qui me promène n'a résolu de me lutiner plus longtemps. Je crois qu'alors je me verrai obligé de faire un tour à Aix pour corriger les ressorts incorrigibles de mon bas-ventre, qui parfois font donner votre ami au diable. Si alors je puis avoir le plaisir de vous y voir, ce me sera très agréable; car je crois, pour tout malade inquiété,

A l'œil jaune, à l'air hypocondre,
Exilé par la Faculté
Pour se baigner et se morfondre,
Et se tuer pour la santé,
Que Voltaire est un grand remède;
Que deux mots et son air malin
Savent dissiper le chagrin,
Et que son pouvoir ne le cède
A Hippocrate ni Gallien.

De là, si vous voulez venir habiter ces contrées, je vous y promets un établissement dont je me flatte que vous serez satisfait, et surtout d'être au dessus des tracasseries et des persécutions des bigots. Vous avez souffert trop d'avanies en France pour y pouvoir rester avec honneur; vous devez quitter un pays où l'on poignarde votre réputation tous les jours, et où des Midas sont les premiers dans tous les emplois.

Adieu, cher Voltaire, mandez moi, je vous prie, vos sentiments, et soyez sûr des miens.

Federic