1742-02-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Je suis arrivé il y a cinq jours, j'ay été malade, mr De Breteuil n'étoit point à Paris ma chère nièce et pour comble d'inconvénients l'abbé Moussinot ne m'a remis qu'aujourduy votre lettre, et celle que vous écrivez du 22 janvier à madame du Chastellet.
La première chose que j'ay faitte en arrivant c'est de faire prier notre gentil Bernard de passer chez moy. Il m'a mis au fait, il m'a dit que vos apointements étoient payez. J'eusse aimé mieux qu'ils ne l'eussent pas été, et qu'on les eût réservez pour les transformer en apointements de commissaire ordonnateur. Mais rien n'est gâté encor. Je parleray, je feray parler, je présenterai des placets, je consulterai mr le maréchal de Coigni, je feray demander une petite audiance à M. le cardinal, je prendray le moment favorable. Ne soyez point inquiète. Si l'affaire est possible, je vous réponds qu'elle le sera. La plus part des affaires ne manquent que faute de zèle. Je vous rendrai un compte exact de touttes mes démarches. Vous me faites souhaiter ma chère enfant d'avoir de la faveur dans ce monde, vous me rendriez presque ambitieux pour vous rendre service. Mais si je réussis mon ambition sera bien satisfaitte. Madame du Chastelet ne vous sera pas inutile. Enfin il faudra que la chose soit infaisable ou que nous en venions à bout. J'ay vu l'ambassadeur turc, j'ay dîné avec luy, il me parait que c'est un homme plus franc et plus rond que nos ministres crétiens. Je ne suis point pressé de faire jouer Mahomet, je ne suis pressé que de votre affaire, mais encor une fois songez que la patience doit être la vertu de quiconque attend des grâces de la cour, et même de quiconque attend justice. Mille tendres amitiez je vous en prie à monsieur et me de Fontaines.

V.