1742, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Henri Feydeau, comte de Marville.

Monsieur, voici ma requête écrite contre le jugement de m. Omer de Fleury! J'ai perdu mon procès devant le premier ministre; cela ne m'étonne pas. Ce dont je le défie, c'est de me le faire perdre devant la raison, et par conséquent devant vous. On s'est revanché sur ma tragédie de certaines vérités qui me sont échappées contre les tuteurs des rois, et on a pris au palais la défense du faux prophète contre le catholique fervant qui se montrait dans sa laideur. Que voulez vous? on n'aime pas à être battu sur sa livrée.

Veuillez lire ma pièce; c'est un réquisitoire contre le fanatisme. M. le procureur général a cru que je tirais sur ses terres. Je ne comprends pas pourquoi à Clermont (au collège des jésuites) on a pris si à cœur lá défense d'un fourbe; car, monsieur, ne vous y trompez pas, ce n'est point parce que je n'ai pas traîné dans la boue le conducteur de chameaux qu'on m'en veut, c'est uniquement parce que j'en ai fait un pêcheur d'hommes. Je passais l'autre jour sur un quai. Un homme appela son chien filou; voilà qu'un autre homme qui passait aussi, lui appliqua un soufflet en disant:Ah! drôle, tu m'insultes! Quand on a la jaunisse, on voit tout jaune.

On a pris à tâche de m'avilir, parce que j'ai eu la première idée d'élever un monument à Henri IV. On me calomnie à la cour. Les étrangers me rendent plus de justice. Je ne pourrais vivre en France, si je n'y trouvais, monsieur, des hommes tels que vous, tels que mm. d'Argenson, de Chauvelin, d'Argental e tutti quanti; des femmes comme mesdames de Villars, de Villeroy, de Mesnières, Duchâtelet et quelques autres. Ah! que de serpents on me fait avaler! Quand je me plains, on me dit que j'ai tort, vu que ce ne sont pas des vipères, mais seulement des couleuvres. Grand merci de l'adoucissement.

N'importe! ma cause est jugée; mes ennemis sont les J. B. Rousseau, les Desfontaines, les chevaliers de Rohan, et mes protecteurs, dont je viens, plus haut, d'écrire si orgueilleusement les noms. Lisez ma tragédie, et vous verrez, Monsieur, que je n'ai mérité

Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité.