A Fontainebleau, ce 10 octob. 1740
Sire,
J'ai partagé bien sensiblement le plaisir que mr de Voltaire a eu d'admirer de près le Marc Aurèle moderne; les lettres qu'il m'écrit ne sont pleines que des louanges de v. m., & du bonheur qu'il a à passer ses jours auprès d'elle.
J'ai pris le temps qu'il est occupé à exécuter en Hollande les ordres de v. m., pour venir faire un tour à la cour de France, où quelques affaires m'appelaient, & où j'ai voulu juger par moi même de l'état de celles de mr de Voltaire; il a eu l'honneur d'en parler à v. m.; il n'y a rien de positif contre lui; mais une infinité de petites aigreurs accumulées peuvent faire le même effet que des torts réels. Il ne tiendra qu'à v. m. de dissiper tous les nuages, & il suffirait que mr de Camas ne cachât point les bontés dont v. m. l'honore, & l'intérêt qu'elle daigne prendre à lui; je suis bien certaine que cela suffirait pour procurer à mr de Voltaire un repos dont il est juste qu'il jouisse & dont sa santé a besoin. Je ne doute pas que v. m. ne lui donne cette nouvelle marque de ses bontés, & qu'elle ne fasse aujourd'hui par mr de Camas ce qu'elle daigna faire par mr de la Chétardie dans un temps où nous n'osions pas même en prier v. m. Louis XII disait qu'un roi de France ne devait pas venger les injures d'un duc d'Orléans; mais je suis persuadée que v. m., faite pour surpasser en tout les meilleurs rois, pense qu'un roi de Prusse doit protéger ceux que le prince royal honorait de son amitié. Je suis bien affligée de me trouver à une autre cour que celle de v. m.; j'espère toujours que je pourrai satisfaire quelque jour le désir extrême que j'ai de l'admirer moi même, & de l'assurer de vive voix du respect et de l'attachement avec lesquels je suis &c.