1740-03-27, de Pierre Louis Moreau de Maupertuis à Johann Bernoulli.

J'ai receu votre lettre mon cher amy et quoyque je n'eusse pas hésité entre me brouiller avec Me du Chastellet et vous dire franchement ce que vous m'aviés demandé avec instance, je vous diray cependant que je suis fâché de m'estre jamais meslé de cette sorte d'affaires.
Me du Chastellet est une femme à qui il est dangereux d'avoir affaire. Je n'avois pas déjà lieu d'être content de sa conduitte qu'elle avoit tenue avec moy à l'égard de König, mais encor plus suis je mécontent de la manière dont elle en use avec moy pour ce qui vous regarde. Peu s'en faut qu'elle ne me menace. Il est vray que par les termes de vos lettres à elle que vous me rapportés vous mesme elle n'a pas deu douter que ce ne fust de moy que vous parliés, car jamais on n'a entendu par 'persones pour qui l'on a de la Déférence', son père et sa mère qu'on peut très bien nomer en pareil cas. Je fus fort surpris de la voir tout d'un coup m'écrire d'un stile fort fâché et fort extraordinaire. Elle ne pouvoit seurement sçavoir rien que par vous de mes sentiments sur votre habitation avec elle. Enfin c'est une chose faitte, dont je me consoleray aisément mais qui m'apprendra à ne me jamais mesler de chose de cette espèce. Elle a été aussi en grand courroux contre Clairaut sur ce qu'il avoit pris Konig pour son correspondant de l'Acadie dans le tems qu'elle étoit le plus mécontent de luy; mais Clairaut luy a demandé pardon et ils sont redevenus les meilleurs amis du monde.

J'attens que vos 4 étuis soyent prests pour vous les envoyer avec la loupe. Je ne regrette point d'être brouillé avec Me du C. pour l'amour de vous, je ne suis fâché que de l'être ayant peu très bien ne l'estre pas.

Adieu mon cher amy.

M.