1739-11-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Charlotte de Viart d'Attigneville, comtesse de La Neuville.

Me voilà encore, madame, très près et très éloigné de vous; et ma destinée sera toujours avec vous de former des souhaits malheureux.
Nous arrivons à Cirey, quand vous êtes à Clairvaux, et nous allons en partir, quand vous revenez à la Neuville. Je crois bien que mme de Chastelet pourra bien reconduire mme de Richelieu jusqu'à Chaumont. Mais, pour moi, il me semble que tous les endroits où nous allons devraient être la Neuville. Il faut absolument que j'aie l'honneur de vous faire ma cour avant que je quitte la Champagne. Les bontés que m. de la Neuville et vous, et toute votre famille, avez eues pour moi si longtemps, me seront toujours présentes. Je n'ai pas un cœur fait pour les oublier. J'ai appris avec la joie la plus vive que m. de la Neuville jouit toujours d'une santé égale, que vos enfants donnent déjà des espérances, qu'ils seront dignes des soins de la plus aimable des mères.

Où est le temps, madame, où je venais en trois quarts d'heure sur l'Hirondelle, jouer aux échecs et faire des balourdises au piquet, où je passais dans votre château des temps si longs et qui me paraissaient si courts. Tout cela ne servira-t-il qu'à me condamner aux regrets. La Neuville était mon pays et Bruxelles sera mon exil. Ma seule consolation y sera de recevoir vos ordres. Comptez, madame, que vous aurez toujours en moi le serviteur le plus tendre comme le plus respectueux. Permettez que j'assure des mêmes sentiments m. de la Neuville, messieurs vos frères, mlle et mm. de Brabant, tous ceux qui ont le bonheur de vivre avec vous, partagent mes sentiments et font mon envie. Je suis madame, etc.

Voltaire