1739-08-03, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Johann Bernoulli.

Ie suis très en peine de sauoir Monsieur si v͞s aués reçu le Comercium Epistolicum de mr votre père que ie v͞s ay renuoyé en partant de Cirey et dont v͞s ne m'aués point accusé la réception.
Ie sais combien ce manuscrit v͞s est cher, et ie connois combien il v͞s le doit être, ainsi ie ne serai point tranquille que ie ne sache si v͞s l'aués àprésent.

Ie suis icy auec les flamands, ocupée de playdoyers et de visites, et très ennuiée de l'un et de l'autre. Les voyages et toutes les dissipations ont fait jusqu'à présent grand tort à mes Etudes. I'espère qu'après vn voyage de huit ou dix jours que ie vais faire à Paris, ie serai plus sédentaire et que ie pourai mieux profiter des leçons de mr Koenig. Il ne me manque p͞r être parfaitement contente de lui, que d'être sûre de le garder autant que i'en aurai besoin, et que ie le désire.

En v͞s remerciant de l'attention que v͞s aués bien voulu faire à mon petit Essay sur l'optique dont ie suis encore bien Eloignée d'être contente, et ie profiterai assurément des auis que v͞s voulés bien me donner sur cela dans votre lettre. V͞s me donnés le désir et le courage d'en faire quelque chose puisqu'il v͞s a plu.

V͞s estes bien bon de penser encore à notre généalogie. Elle est encore sous la presse et v͞s ne deués pas doutter que ie ne profite de la politesse que v͞s aués de la désirer p͞r v͞s l'enuoyer dès qu'elle paroitra.

I'ay vne querelle furieuse auec mr de Mairan et même auec mr de Reaumur p͞r le dernier article de mon errata. J'espère faire ma paix à Paris mais souuenés Vous toujours que ie me suis attirée cette querelle p͞r v͞s plaire.

Ie crois qu'on doit v͞s auoir Envoyé àprésent de Cirey la traduction du liure de mr de Maupertuis, qui doit être acheuée. Ie n'ay vu que la préface du traducteur dont i'ay été infiniment contente. Ie n'abuserai point Monsieur de la complaisance de mr votre père et ie me contenterai de v͞s suplier de lui faire mille très humbles complimens de ma part, demême qu'à mr votre cousin. V͞s voulés bien me permettre de joindre icy vne lettre p͞r mr votre frère. Mr de Voltaire et mr de Koenig me prient de v͞s en faire de très sincères de leur part. Le premier ne perd pas de vuë le projet de l'histoire de Suisse dont je crois que l'exécution sera Egalement glorieuse p͞r votre nation et p͞r lui.

Ie v͞s suplie de ne pas oublier mon petit chien et de me donner quelquefois de vos nouuelles dans mon Exil qui poura bien être long à ce que ie préuois. Ne douttés jamais monsieur des sentimens auec lesquels j'ay l'honneur d'être Votre très humble et obéissante servante

Breteüil du Chastellet