2 may 1739
Je ne sçai pas pourquoy j'ay toujours manqué monsieur à vous apeller excellence, car vous êtes assurément et un excellent négociateur, et un excellent, consolateur des affligez et un excellent juge.
Mais j'étois si plein des choses que vous avez bien voulu faire pour moy que j'ay oublié les titres comme vous les oubliez vous même. Quand j'ay parlé de chanceliers, je n'ay fait que jouer sur le mot, car vous avez chez moy tous les droits d'ainesse. Vous êtes un homme admirable (chargé d'affaires comme vous l'êtes) de vouloir bien encor vous charger de mes misères, vous êtes donc magnus in magnis et in minimis.
Vous pouvez garder Le manuscrit que j'ay eu l'honeur de vous faire tenir et de soumettre à votre jugement, car si vous en êtes un peu content, il faut qu'il ait place au moins dans le sottizier. Je garde copie de tout; et s'il est imprimable, il paraîtra avec quelques autres guenilles littéraires.
Vous aimez donc aussi les odes, monsieur; et bien en voicy une qui me paroît convenable à un ministre de paix tel que vous êtes.
A L'égard de Mr de Vallory, cet autre ministre fait pour dîner avec le roy de Prusse et pour souper avec le prince Royal, je vous prie de me recomander à luy auprès de cet aimable prince; et moy je me vanteray auprès de son altesse Royale de devoir les bontez de mr de Vallory à celle dont vous m'honorez. Ainsi toute justice sera acomplie.
Il y a près d'un an que j'ay dit en vers au prince Royal ce que vous me dites en prose, et que je luy ay cité La Reine Jacques (regina Jacobus) qui dédioit ses ouvrages à l'enfant Jesus, et qui n'osoit secourir Le palatin son gendre. Mon prince me paraît d'une autre espèce, il ne tremble point à la vue d'une épée comme Jacques, et il pense comme il le doit sur la téologie. Il est capable d'imiter Trajan dans ses conquêtes comme il l'imite dans ses vertus. Si j'étois plus jeune je luy conseillerois de songer à L'empire et à le rendre au moins alternatif entre les protestans et les catholiques. Il se trouvera à la mort de son père Le plus riche monarque de la crétienté en argent comptant, mais je suis trop vieux ou trop raisonable pour luy conseiller de mettre son argent à autre chose qu'à rendre ses sujets et luy le plus heureux qu'il poura, et à faire fleurir les arts. C'est ce me semble sa façon de penser. Il me paroît qu'il n'a point l'ambition d'être le roy le plus puissant, mais le plus humain, et le plus aimé.
Adieu monsieur. Quand vous voudrez quelques amusements en prose ou en vers, j'ay un gros portefeuille à votre service. Je voudrois vous témoigner autrement ma respectueuse reconnaissance, mais parvi parva Damus. Nous partons Le 11 de ce mois. Si vous avez quelque ordre à me donner, adressez le sous le couvert de madame du Chastelet à L'impératrice, à Bruxelles.
A jamais à vous ex toto corde meo, etc.
V.