1739-02-17, de Baron Albrecht von Haller à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai été véritablement affligé de la lettre dont vous venez de m'honorer monsieur.
Quoi! j'admirerai un homme riche, indépendant, maître du choix des meilleures sociétés, également applaudi par les rois, et par le public, assuré de l'immortalité de son nom, et je verrai cet homme perdre le repos, pour prouver qu'un tel a fait des vols et qu'un autre n'est pas convaincu d'en avoir fait.

Il faut bien que la providence veuille tenir la balance égale pour tous les humains. Elle vous a comblé de biens, elle vous a comblé de gloire, mais il vous fallait des malheurs. Elle a trouvé l'équilibre en vous rendant sensible.

Les personnes dont vous vous plaignez, perdraient bien peu, en perdant ce que vous appelez la protection d'un homme caché dans un coin du monde, et charmé d'être sans influence et sans liaison. Les lois ont seules ici le droit de protéger et le citoyen et le sujet. M. Grasset est chargé des affaires de mon libraire. J'ai vu mr Lereche chez un exilé, que j'ai visité quelquefois depuis sa disgrâce, et qui a passé ses dernières heures avec ce ministre. Si l'un ou l'autre a mis mon nom sous des anonymes, s'il a laissé croire que nos relations sont plus intimes, il aura vis à vis de moi des torts que vous ressentez avec trop d'amitié.

Si les souhaits avaient du pouvoir, j'ajouterais aux bienfaits du destin. Je vous donnerais de la tranquillité qui fuit devant le génie, qui ne le vaut pas par rapport à la société, mais qui vaut bien davantage par rapport à nous mêmes. Dès lors l'homme le plus célèbre de l'Europe serait aussi le plus heureux. Je suis avec l'admiration la plus parfaite

Haller