1739-01-31, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Nous somes dans la dernière surprise mon cher ami de receuoir vne lettre du 28 de vous, et que v͞s n'eussiés pas encore reçu la tragédie qui est partie le 23 par Bar sur Aube.
Il faut qu'il lui soit ariué bien des accidens en chemin. Nous attendons la nouuelle de son arriuée avec impatience. J'ay bien senti tout ce qui s'oposoit à la promptitude que nos affaires Exigent, mais il est permis de le désirer. Il faudroit toujours faire faire copier les rolles, et si Mahomet second est sifflé, ce qui pouroit bien lui arriuér, les comédiens donneroient la nôtre. Il faudroit que l'actiue et obligeante m͞lle Quinault les Engageât s'il est possible à cet effort, sinon ce sera p͞r après pâques. N͞s attendons votre jugement auec impatience. Votre ami v͞s a fait tenir la dernière Edition de son mémoire, qui, ie crois, est bien àprésent, à l'endroit de la prison près, que ie voudrois suprimer. Il v͞s a enuoyé la lettre p͞r mr l'auocat général. Il compte que v͞s voudrés bien la lui remettre ainsi que le mémoire. Il n'a point escrit au cheualier de Brassac parce qu'il auoit enuoyé son mémoire en droiture à mr Dargenson. Il n'a point répondu. Ie ne sais s'il n'auroit point été fâché de cette démarche, mais ie ne le puis croire. Nous espérons que mr votre frère voudra bien le faire voir à mr de Maurepas. Ses requestes n'ont pas encore été présentées, ie ne sais pourquoi. I'ay bien de la peine à l'empêcher d'aller à Paris. Il dit que l'on ne fait que des sotises. I'espère en v͞s p͞r l'en dissuader. V͞s verrés m͞e de Chambonin que de malheureuses affaires apellent encore a Paris. C'est après v͞s notre meilleure amie. Elle doit v͞s parler de bien des choses de ma part, elle v͞s porte vn des habitans de nos bois. N͞s v͞s prions d'en faire vn peu notre cour à me Dargental. Mr de V. ne fera point imprimer ces attestations qu'il demande. Il sent à merueille que ce que v͞s dites sur cela est très vray. Il v͞s escrit sur cela, et sur sa tragédie. N͞s voulons v͞s escrire tous deux. Ie suis affligée de ce que v͞s me marqués sur l'ambassadeur d'Hollande. I'ay rayé cet endroit de votre lettre auant de la montrer à mr de V. Il n'a pas besoin de nouueaux sujets d'affliction. Ie charge m͞e de Chambonin de le voir et de le dissuader. Ie suis vn peu mêlée dans cette affaire là auec lui, parce que m͞e de Chambonin à son dernier voyage lui fist voir vne lettre de moi où ie détaillois le fait. Or ie ne crains rien sur cela car tout ce que j'ay auancé est la plus exacte vérité, et ie ne veux pas que les libraires de Hollande lui en imposent et me fasse passer p͞r quelqu'un qui assure de lèger. Mon dieu que les gens les plus heureux sont à plaindre!

Adieu ange consolateur, gardés n͞s toujours, n͞s v͞s aimons auec une tendresse extrême.