1739-01-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à [unknown].

Mon cher ami, une nièce que j'ai mariée, a passé sept mois sans m'écrire, et au bout de ce temps elle me demande pardon.
Je lui réponds en termes honnêtes, en l'envoyant faire . . . avec ses pardons. Car je ne suis point tyran et si je suis aimé, je crois tous les devoirs remplis. Venons à l'application; il est vrai que vous ne m'avez point marié; mais il y a longtemps que je ne vous ai écrit. Envoyez moi faire . . . et aimez moi.

Grand merci de vos anecdotes. Rassemblez tout ce que vous pourrez, et si vous voulez un jour conduire l'impression du beau Siècle de Louis XIV ce sera pour vous fortune et gloire.

Je remercie l'abbé Desfontaines de s'être si bien démasqué et d'avoir aussi démasqué Rousseau; quand je l'aurais payé pour me servir, il n'aurait pu mieux faire.

Mais il y a un trait qui demande une très grande attention et qui me ferait un tort irréparable, si je laissais sur cela le moindre doute, car le doute en ce cas, est une honte certaine. Il ose avancer que mon ami Tiriot me désavoue sur l'article du libelle fait contre moi dans le temps de Bicêtre. Mr Tiriot est, je ne dis pas trop mon ami, je dis trop homme de bien, pour désavouer ses paroles et sa signature, pour démentir ce qu'il m'a écrit vingt fois, ce que j'ai entre les mains, et que je suis forcé de produire. La crainte, que peut lu1 inspirer l'abbé Desfontaines, ne sera pas assez forte, pour qu'il abandonne la vérité et l'amitié, pour qu'il se déshonore, et pour qui? pour un scélérat qui a fait à mr Tiriot même, les plus sanglants outrages dans son Dictionnaire néologique.

Je vous prie d'aller voir les jésuites, le père Brumoi surtout. Il vous recevra bien et comme vous le méritez. Qu'il vous montre Mérope. Assurez le de mon estime, de mon amitié et de ma reconnaissance. Dites lui que je lui écrirai incessamment. Il aime Rousseau; mais il aime encore plus la vérité et la paix. Il me paraît un homme d'un grand mérite. Mettez au net en sa présence les procédés de Rousseau et les miens, faites lui sentir que depuis cinquante ans Rousseau a déchiré maîtres, bienfaiteurs, amis, tous les gens de lettres, et que je suis le dernier à qui il a fait la guerre. Je sais me venger, mais je sais pardonner. J'ai eu des occasions d'exercer ma juste vengeance; qu'on m'en donne de montrer que je peux oublier l'injure; assurez surtout les jésuites d'une vérité qu'ils doivent savoir, c'est qu'il n'est pas dans ma manière d'être, d'oublier mes maîtres et ceux qui m'ont élevé.

Dites, je vous prie, à mr Ortolani, qu'il passe par Bar-sur-Aube en allant à Turin; nous l'enverrons chercher. Il faut qu'il ait vu mad. la marquise du Châtelet; il faut qu'il puisse dire qu'il a vu à Cirey l'honneur de son sexe et l'admiration du nôtre. Ecrivez moi tout ce que vous savez, tout ce que je dois savoir, et comptez sur une discrétion égale à mon amitié et à ma paresse. Adieu.