1738-12-05, de Françoise Paule Huguet de Graffigny à François Antoine Devaux.

Dieu que vai-Je lui dire et par où commencer?

Je voudrois te peindre tout ce que je vois mon cher Panpan, je voudrois te rendre tout ce que j'entens. Enfin je voudrois te donner le même plaisir que j'ai, et j'ai peur que la pesanteur de ma grosse main ne brouille et ne gâte tout. Je crois qu'il vaut mieux tout uniment te conter non pas jour par jour mais heures par heures.

Je t'écrivis hier Jusqu'au souper. On vient m'avertir et l'on me conduis dans un apartement que je reconnu bien tôt pour celui de Voltaire. Il vint me recevoir. Personne étoit arrivé mais je n'eut que le tems de jeter un coup d'oeil. On se m'is à table. Je n'aurois pas encore eu assés de plaisir si je n'avois comparé ce souper là à celui de la veille. J'assaisonai donc de tout ce que je trouvai en moi et hors de moi. De quoi ne parla t'on pas! Poésie, science, le tout sur le ton de badinage et de gentillesse. Je voudrois te les rendre mais cela n'est pas en moi. Le souper n'est pas abondant mais il est rechercé, propre, beaucoup de vesselle d'argent. J'avois en vis à vis cinq sphère et toutes les machine de phisique car c'est dans la petite galerie où l'on fait le repas unique. Voltaire à côté de moi aussi poli, aussi attentif qu'aimable et savant, le seigneur châtelain de l'autre côté, voilà ma place de tout les soirs, moiennant quoi l'oreille gauche est charmée, l'autre très légèrement enuiée, car il parle peu, et se retire dès que l'on est hors de table. Au desert arrive les parfums, on fait la conversation. On parla livre comme tu crois. Il fut question de Rousseau. Oh dame c'est là où l'homme reste et que le héros s'évanouit. Il serait homme à ne point pardonner à quelqu'un qui loueroit Rousseau. Enfin on parle poésie de tout genre. Pour moi, dit la dame, je ne saurois soufrir les odes. Ah fi, dit ton idole, qu'esce que c'est qu'une ode? C'est le plus petit mérite du monde que celui d'en faire. Galimatias, rapsodie, et cela sur tout en stile marotique qui est la plus exécrable chose du monde. Je ne comprends pas que d'honnêtes gens lisent ces choses là. Ne voilà t'il pas bien l'homme? Je ne sais àpropos de quoi il parle des observations. Je lui demande s'il les fait venir, il m'assure qu'il n'y manque pas et tout de suite les invectives arrivent contre l'auteur et contre l'ouvrage. Il m'a donné à lire une petite brochure qui a pour titre préservatif contre les observations, qu'il prétens qu'un de ses amis a faite. Je la lui demanderai pour te l'envoier par un marchant de Luneville qui est ici, ainsi je ne t'en dis rien.

Je ne sais s'il ne parle point de ses deux hommes sans que la fermentation du sang ne devienne fièvre, mais enfin elle lui prit, nous sortime pour le laisser se coucher. J'ai dormi dieu sait, et dieu sait aussi que les montagnes que j'ai montée et descendues m'ont mise à peu près dans l'état où était Sancho quand il prétendoit être moulu pour avoir rêvé qui étoit roulé du haut en bas d'une montagne. Cela m'a fait tenir dans mon lit jusqu'à midi. J'ai eu la visite de la dame châtelaine. Je suis plus contante que je ne ’étois hier. J'ai lu ce préservatif car il faloit pouvoir dire que je l'avois lu. en envoyant savoir de mes nouvelles, Voltaire m'a envoyé un beau Neuton relié en maroquin. Par parentesse il en a fait metre au coche de Paris à mon adresse, un pour moi et un autre pour St Lambert, avec une letre pour lui. Il a ordonné cela à Paris, il craint qu'on s'est trompé et qu'on a adressé le paquet à Nanci au lieu de Luneville. Il faudroit le faire demander à mr Petit. Revenons à mon lit. Ie n'en suis sortie qu'à plus de midi. Je me suis habillée en me trainant car je ne marche qu'en criant et comme on ne dine point je me suis mise à lire Neuton, au lieu de t'écrire, oui au lieu de t'écrire, quoi que j'en mourusses d'envie; mais il faloit aussi marquer un peu d'empressement et pouvoir en parler le soir. Apropos du soir, bonsoir. Voilà une heure qui sonne, il faut un peu reposer les Jambes rompue de la pauvre abesse, qui s'est mi au lit en embrassant tous ses chers amis, st docteur, gros chient, Penpichon. Bonsoir tous mes fidels et cher bons amis.

Ce samedi [6 December] à cinq heures du soir

J'en étois donc à ce désir de paroitre intelligente. Il a eu son effet car j'ai entendu le peu que j'ai lu. Comme je le faisois est arrivée en visite une dame qui passe sa vie ici, parce qu'elle a une petite terre dans le voisinage. Elle est trait pour trait la grose femme courte du paisan parvenu, mais elle paroit être aimable par le caractère. Elle aime Voltaire à la folie, et lui m'a dit qu'il l'aimoit beaucoup parce qu'elle a le coeur bon. La pauvre femme, on la fait tenir tout le jour dans sa chambre. Depuis quatres ans qu'elle fait cette vie là elle a lu tout ce qu'il y a de mieux ici et elle n'en est pas plus savante. Voltaire badine fort bien de ses lectures et de la vie qu'on lui fait faire. Elle n'en est pas tout à fait la dupe car elle dine et mange tant qu'elle peut. Elle ne m'ennuia pas, quoi qu'elle fût restée très lontems dans ma chambre, c'est qu'elle me conta bien des chose de Voltaire, entre autre ce que s'est dis au d . . . de l'abbé de la Mare, et puis que Voltaire par amitié pour elle avoit voulu marier une de ses nièce avec son fils, qui n'est pas riche. Il auroit donné à sa nièce quatrevingt mille francs, et pour douze mille de vaisselle d'argent. La demoiselle n'a pas voulu, elle étoit amoureuse. Il ne lui a donné que trente mille livres. Le public selon cette dame a grand tort de crier contre les éditions de ses ouvrage car elle m'a assuré que depuis bien du tems il n'en tire rien pour lui. Ce sont des présens qu'il fait aux uns et aux autres des jeunes gens de lettre.

La dame sortie je prenois mon écritoire quand le seigneur châtelain entra. Non. J'oubliois que Voltaire m'avoit fait encore une petite visite pendant celle de la dame. Je le chassai parce que ma chambre est très froide et qu'il est fort enrumé. Chasser Voltaire! tu trouve cela bien fort. Voilà comme on se familliarise avec les grands homme; arrive donc le seigneur châtelain qui sans aucune pitié m'ennuia pendant deux heures et plus. Enfin Voltaire m'en tira une demi heure avant souper, en m'envoyant dire que puis que je ne voulois pas qu'il resta dans ma chambre je prisse donc la peine de descendre chez lui. Je ne me fi pas prier. Je n'avois vu son apartement qu'en passant la veille. Il me le fit admirer. Voici où j'en ai réservé la description.

Sa petite aile tient si fort à la maison que la porte est au bas du grand escalier. Il a une petite antichambre grande comme la main, ensuite sa chambre, petite, basse, tapissée de velours cramoisi, une niche de même avec des franges d'or. C'est le meuble d'hiver. Il y a peu de tapisserie et beaucoup de lambri, dans le quel sont encadrés des tableaux admirable, des glaces, on s'en doute, des encognure de laq admirable, des porcelaine, des marabous, une pendule soutenue par des maraboux, d'une forme singulière, des choses infinies dans ce goût là, chère, recherchée et sur tout d'une propreté à baiser le parquet, une cacette ouverte où il y a un vesselle d'argent, tout ce que le superflu chose si nécessaire a pu invanter, et quel argent! quel travail! Il y a jusqu'à un baguiser où il y a dix ou douze bague de piere gravés, un autre deux de diament très minse. De là on passe dans la petite galerie qui n'a guère que trante ou quarante pieds de long. Entre les fenêtres là sont deux petites statues fort belle sur des pieds destaux de vernis des Indes, l'une est cette Venus fameuse, l'autre Hercule. L'autre côté des fenêtre est partagé en deux armoire, l'une des livres, l'autre les machines de phisiques. Entre les deux un fourneau dans le mur qui rend l'air comme celui du printems. Devant un grand pieds des tal de piere, sur le quel est un amour assés grand qui lance une flèche. Cela n'est pas achevés. On fait une niche scuptée à cet amour qui cachera l'aparence du fourneau. La galerie est boisée et vernie en petit Jaune. Des pendules, des tables, des bureaux, tu crois bien que rien n'y manque. Au delà de cela est la chambre obscure qui n'est pas encore finie, non plus que celle où il mettra ses machines. C'est pour cela qu'elles sont encore toutes dans la galerie. Un seul sopha, point de fauteuil comode, c'est à dire ils sont bons mais ce ne sont que des fauteuils garnis. L'aisance du corps n'est pas sa volupté aparament. Les paneaux des lambris sont des papiers des Indes fort beaux, les paravents de même, les tables à écrants, des porcelaine, tout cela recherchés. Il y a une porte au milieu qui donne dans le jardins. Le dehors de la porte est une grote fort jolie. Je crois que tu tu sera bien aise d'avoir une idée du temple de ton idole, puis que tu ne saurois le voir. Le souper ne fut point trop joli. Le vilain petit Trichatteau se fit trainer au bout de la table, et il falai lui parler. Cela ennuioit. V . . . et moi nous causâmes ensemble des momens. Après souper il me parla encore de toi. Il trouve fort mauvais que tu ne fasses rien. Il dit qu'il faut que ton père te chasse comme il l'a été de la maison paternelle à dix heures du soir, que ce sont ses lissences de poètes. Enfin il rabâche toujours sur ton inutilité, car il m'en a encore parlé ce matin. Il a une grande idée de st Lambert, qu'il travailloit à une tragédie qui seroit assez belle après toutes les corrections qu'il prétendoit y faire. Je ne me souviens plus de ce que st Lambert m'avoit dit de lui dire. Si tu t'en souviens mande le moi, et mande lui à lui que je lui ai écrit avec une double envelope à l'adresse de Mr Guillerant, chez mr de Vidempierre. Il faut qu'il ne l'ait pas reçue puis qu'il ne m'écris plus.

Voilà ma journée d'hier. Après souper je t'ai écris et au docteur, tu le sais. Aujourd'huy je suis dessendue à onze heures pour le cafée qui se prend dans la galerie. V. étoit en robe de chambre, fort enrumé. Nous n'avons pas été à la messe car il n'est pas fête ici. J'ai pensé tout en m'éveillant à celle de ton père, je suis bien impatiante de savoir comment l'épitre aura été reçue.

On a parlé de l'éternel procès pendant tout le cafée qui dure une heure et demie. V. s'est mis à écrire, nous sommes repassée la dame châtelaine et moi dans son appartement pour le voir car je ne l'avois pas encore envisagé. Celui de V. n'est qu'un sot, un cabinet de noier fort beau, sa chambre boisée en vernis petis jaune et les cordons bleu pasle, une niche de même encadrée de papiers des Indes charmans, le lit de moiré bleu, et tout est tellement assortis que jusqu’ aux paniers de chien tout est Jaune et bleu, bois de fauteuil, bureau, encognures, secrétaire, les glaces et cadre d'argent, tout est d'un brillant admirable. Une grande porte vitrée mais de glace miroir, conduit à la bibliotèque qui n'est pas achevée. C'est une sculpture comme une tabaquière. Il y aura des glaces, des tableaux, des Veronesses &c. D'un côté de sa niche est un petit boudoir, on est près à se mettre à genoux en y entrant. Le lambrit est en bleu et le plafond est peint et vernis par un élève de Martin qu'ils ont ici depuis trois ans. Tous les petits panneaux sont remplis par des tableaux de Vateau, ce sont les cinq sens, et les deux contes de la Fontaine, le baiser pris et rendus dont j'avois les deux estempes, et les oyes de frère Philipe. Ah quelle peintures! Les cadres sont dorez et en philagrames sur le lambris. Trois grâces, une cheminée en encognures, des encognures de Martin avec des jolies choses dessus, entre autres une écritoire d'ambre que le prince de Prusse lui a envoyé avec des vers. Nous parlerons de cela allieurs. Pour tout meuble un grand fauteuil couvert de taffetas blanc et deux tabouret de même — car grâce à dieu je n'ai pas vu une bergère dans toute la maison. Ce divin boudoir a une sortie par sa seule fenêtre sur une terasse charmante et dont la vue est admirable. De l'autre côté de la niche, est une garderobe divine pavée de marbre, lambrissée en gris de lins, avec les plus jolies estempes, des rideaux de mousseline brodées au fenêtres. Il n'y a rien de si jolis.

Après avoir visité l'apartement nous sommes restée dans sa chambre. Elle ma raconté le procès depuis son origine il y a environ quatrevingt ans jus-qu'aujourd'huy. Et cela est singulier, elle a parlé si bien que quoi que cela ait duré plus d'une heure et demie elle ne m'a point ennuiée. Elle m'a montré son bijoutiers. Il est plus beau que celui de mad. de Richelieu. Je n'en reviens pas de surprise, car quand elle étoit à Craon elle n'avoit pas une tabatière d'écaille. Elle en a bien quinze ou vingt d'or, de pieres précieuses, de lac admirables, d'or émaillié qui est une nouvelle mode qui doit être d'un prix excessifs, autant de navette de même espesse plus manifique l'une que l'autre, des montres de Jaspe avec des diamant, des étuis, des choses imenses. Je n'en reviens pas car ils n'ont jamais été riches. Des diamant par fois beau mais beaucoup des bagues de pieres rares, des berlogue sans fin et de toute espesse. La poste est arrivée, il n'y avoit rien pour moi. Je suis remontée pour t'écrire et m'y voilà à bavarder, mais c'est avec confiance, je ne crois pas t'ennuier. Je voudrois bien être hors du bâtiment, mais il faut que tu sache encore comme ma chambre est faite. C'est un hailli pour la hauteur et la largeur. Tous les vent se divertissent par mille fentes qui sont autour des fenêtre, et que je ferai bien étouper si dieu me prête vie. Une seule fenêtre à careaux en pilouris coupée en trois comme du vieux tems, portant six volet. Les lambris qui sont blanchis diminuent un peu la tristesse dont elle seroit eu égard au peu de jour et au peu de vue car une montagne aride que je toucherois quasi de la main la masque entièrement. Au bas de cette montagne est une petite prairie qui peut avoir cinquante pieds de large et sur la quelle une petite rivière qui fait mille tour. Rentrons, il fait vilain à la fenêtre. La tapisserie est à grand personnages à moi inconus et assés vilains, une niches d'étofes d'habit très riche, mais désagréable à la vue par leur assortiment, une cheminée par où tout le sapat y passeroit de front, et dans la quelle se brûle environ une demi corde de bois par jours sans que L'air de la chambre en soit moins cru. Voilà ma chambre que je hait beaucoup et avec connoissance de cause; mais on ne sauroit avoir tous les biens dans ce monde. J'ai un cabinet tapissé d'indienne qui n'empêche pas de voir l'air àtravers les coings des murs, j'ai une petite garderobe sans tapisserie, fort à jour aussi.

Md du Bois ensuite, qui est mieux que moi hors qu'elle n'a de jour que sur un coridor. Encore y a-t-il un escalier assés beau à monter mais difficile parce qu'il est du vieux tems.

Au demeurant tout ce qui n'est point l'apartement de la dame et de V . . . est d'une saloperie à dégoûter. Les jardins m'on paru beaux par la fenêtre. Sauve toi par là.

Or ça te voilà orienté. Ne parlons plus que des gens. Contons d'abord L'embassade du prince de Prusse. Il a envoyé un de ses gentilhommesà V . . . exprès pour lui demander à voir son histoire de Louis 14. Il lui a envoyé son portrait, c'est un fort beau prince dans le goût de monseigneur. Il est dans la chambre de V . . . . A propos de cela j'ai oublié celui de md. du Chatelet qui est au dessus de la glace de la cheminée de la galerie avec tous ses attribus, des livres, des compas, un peroquest, des ponpons, de la musique, des diamants, des instruments de mathématiques. Cela est charmant. Le prince envoya cete écritoire qui est très belle, avec des vers dans le cornet, écrit sans doute par celui qui avait mis l'Iliade dans une coque de nois, car le papier est grand comme l'ongle. Ils sont à la louange de la dame qui est portée au troisième ciel. Il n'y manque que la tournure. Je demanderai à les copier pour te les envoyer. Je les metrés dans le microscope pour les lire. On ne m'a point parlé de présent à V. On régala bien mr l'envoyé. On lui donna la comédie, un feu d'artiffice, une illumination, enfin des chose qu'il n'y a que les fées ou Voltaire qui puisse les faires dans un endroit comme celui ci. Le prince a beaucoup écris de vers et de lettres, on doit me les montrer. Voici ce que je dois avoir ce soir à lire, Merope, l'histoire de Louis 14 que cette bégeule ne veut pas qu'il achève, elle la tient sous la clef. Il a fallu qu'il prie bien pour qu'elle promette de me la donner. Je démêlerai ce petit tripot là. La vie de Moliere qu'il avoit écrite pour mettre à la tête de cette belle édition. Le garde des seaux qu'il dit estre son ennemi mortel, la fit écrire par mr de Seré et la siene est restée. Je la lirai ce soir pour m'endormir. Il m'a dit que quand je serois bien sage J'aurois quelqu'autre chose qui'il me diroit. Je ne lui demande rien, il est ocupé de me chercher des livres et des amusements avec une attention charmante. Il m'a aussi promis une épitre sur le bonheur. Je n'aurai pas la pleine jouissance de toutes ces choses là, mon cher ami, parce que je ne pourai ny les copier ny te les envoyer. Je t'en rendrai compte tant que je pourai mais il n'aime pas qu'on parle de lui. Il ne faut pas que cela passe nos amis. Tu sens bien de quelle conséquence il est pour moi de ne pas m'y brouiller. Recomende leur bien. Il travaille effectivement à refondre son Charles douze. Je lui ai dit le tord qu'il faisoit à mr de Solignac, il m'a bien ris. Il ne veut pas avouer qu'il ait demandé ses mémoires, non plus que la petite feuille que je t'envoyerai par le marchand qui part mardi. Je la lui ai demandée ce matin pour toi. Ah mon dieu, a t'il dit, je n'en ai que celle là, j'en ferai revenir d'autres, je souhaite qu'elle L'amuse. Je voudrois avoir autre chose qui pût lui faire plaisir. Il n'a que trop mais il n'envoye pas. Tu es bien aise, il aime le paiisant parvenu, à la longueur près. Il dit qu'il a fait l'enfant prodigue dans un accès de fièvre sans le corriger. Il n'y a rien qui n'y paraisse, il le trouve charmant. Cependant il ne consoit pas comment on peut sourire aux plaideurs. La dame lui demande grâce pour la comtesse. Ce fut bien pis. Il y a bien des moments où il est furieusement auteur. Le mot n'est pas trop fort. Je suis seure qu'avant que md de Croupillac fût au monde il trouvoit la comtesse charmante. Quelle différence!

Or çà je crois que tu dois être contant de moi pour cette fois. Je vais un peu repasser tes lettres pour voir s'il y a réponce à faire. Premièrement je ne saurois soufrir que tu écrive dans l'envelope, c'est autant de perdu, je ne saurois arrenger cela. D'allieurs c'est toujours une demie feuille de plus que tu pourois remplir en la pliant à l'ordinaire et elle ne coûtent pas tant de port que les grands carés. Enfin je n'en veux point, cela me déplait, et je veux que tu aie cette complaisance. Je vois d'abor que md. de Vigeon dit que je ne lui ai pas écrit. J'ai donc mal mis l'adresse. J'ai mis rue du petit lion, faubourg st Germain. Dame, je serois bien fâchée qu'elle fût perdue, car j'avois pris bien de la peine à l'écrire.

Tu est un vray conquin, tu as bien senti que j'envierois les épitre que tu fais et tu donnes une tournure si flateuse à l'excuse que tu me fais de les adresser à d'autres que je suis forcée de t'en remercier. Tu ne sais pas tout le pouvoir que tes mots et tes tournures d'amitié ont sur moi. Il faut te le dire, je m'attendois que c'étoit pour moi et je n'en fesais pas mine. Comme J'écrivis ta lettre renvoyée de Cirei avant l'autre, je fus piquée comme un chien de voir que je m'étois trompée. Il me sembloit qu'une séparation comme la nôtre méritoit des regrets plus autentique que des lettres. Je gromelle entre mes dents les injures que je projetois de t'écrire. Je lis la seconde letres, me voilà désarmée et je te suis obligée de tant d'amitié, si bien sentie, si bien entendue, si flateuse et si bien ditte, mon coeur en est tout plaine et regorgé de reconnoissance. Va mon ami je suis bien contente d'avoir le premier mouvement pour moi. Parle aux autres, remplis les plus petits devoirs. Je te tiendrai encore compte de la petite violence que tu te feras pour ne pas suivre ton penchant. Je trouve les vers de la Grandville charmant. Je t'avoue que je les envie sincèrement.

En relisant ta lettre je me ressouviens de ma bégueule parce que tu m'en parles. Je l'avois si bien oubliée que je ne t'ai je crois pas mandé Comme nous nous étions quittée. J'ai boudé sans dire un mot jusqu'à l'arrivée de md. de Lenoncourt. J'étois si transportée de joye de mon départ que le reste du jours je riois aux anges. Je parlai tant que je pus. Le soir en nous séparant je l'embrassai avec la figure riante et nous n'avons eu aucune explication. Elle me pria de lui écrire et je vais le faire et nous seront toujours sur le même ton. Elle fit assés de mine pour que md. de Lenoncourt ne me donna pas ses cheveaux parce qu'elle ne s'en va qu'à Noel. Mais je lui fis si bien voir que je saurois comment m'en aller qu'elle se rendit. En passant devant sa porte avant le jour je fis un grand signe de crois dessus qui fit pouffer de rire Melle du Bois de façon à la réveiller et je parti.

Je ne ferai ton épître de lontems. Je suis encore étourdie du bateau et tu vois que j'ai bien des chose à lire car il ne faut pas avoir l'air de négliger de si bonne chose. Tout ce que je prétens c'est que rien ne diminue mes lettres. Contente toit de cela et ne t'avise pas de recommencer tes mauvais propos sur la longueur de tes lettres. Je les aime mieux que tout ce que je vois et j'entens ici. Table là dessus et ne me tracasse pas.

Les vers du st sont charmants. S'il veut bien que je l'embrasse j'en meurs d'envie, mais je crains que si D . . . est revenus nous ne soions pas trop bien ensemble. J'atens les foudres sur la moutarde après diner.

Tu aime aussi les rabâchages de comères: en voici un que md. de Lenoncour nous a conté. Md. de Modene s'est avisée d'écrire une grande lettre à madame pour lui conseillier de s'aller en Toscane, qu'il n'y avoit rien de si aisé, qu'elle n'avoit qu'à se mettre dans une bonne berline, courir jour et nuit, qu'elle y seroit bien tôt et cent autres ridiculités aussi fortes. Md. c'est fâchée, elle lui a mandé qu'elle devroit s'en retourner dans son pais et qu'il ne convenoit pas à une princesse souveraine de faire le personnage qu'elle faisoit à Paris. L'autre a répliqué. Elle se sont écrites chacunes deux ou trois lettres de harengères les plus piquantes du monde. Md. de Lenoncour les a luës car elle n'en croioit pas madame. Elle a routi les poires. La Francinetti ne pouvoit pas venir à cause que Lolote acouche. On a aucune nouvelle de Flandre.

Or ça bonsoir. Je t'embrasse cent fois. Si Maroquin est arrivé donne lui ma lettre et baise le sur l'oeil gauche, sinon garde la lui.

Je n'en puis plus. Je suis aveuglé. Bon soir, bon soir, je vais souper et à la provision pour demain. Que je t'amuse du moins si je ne puis faire mieux pour te prouver mon amitié.

Puisqu'il faut une envelope à cause de la lettre du d . . . je vais t'ajouter une commission. Un domestique d'ici part mardi pour remener ce marchand. Je voudrois bien que tu pusses me renvoyer pour lui une petite bouteille d'eau Jaune de la tour pour les petis meaux qui me vienent souvent à la bouche. C'étoit un trézor pour moi que cette eau. En venant ici le flacon s'est renversé, j'en suis désolée. Mais il ne faut pas le demander pour moi parce que je lui dois de l'argent et qu'il ne faut pas réveiller le chat qui dor. Il faudroit que Clairon qui connoit cette eau lui en demenda pour elle ou pour ton chien. Si non envoye moi une demi englaise d'eau de [. . .]. Vois mon guignon: je n'ai pas eu de ces petits maux tant que j'ai eu mon eau, et voilà qu'il m'en est déjà arrivé un d'hier, qui va me désespérer. Tiens la bouteille prête, car le valet repartira le lendemain. Il te portera tout ce que je pourrai t'envoyer.

Accoutume toi à voir mes lettres cachetées en deuil à l'avenir, parce que j'ai de la cire noire que je veux user. Cette couleur te donnera des idées gaies.