1738-05-10, de Marie Louise Denis à Nicolas Claude Thieriot.

Je suis icy Monsieur du 22e avril sans vous avoir écri mais non pas sans songer à vous.
Je me flate que vous êtes assés de mes amits pour m'excuser en faveur de l'embaras et de la fatigue où j'ai été depuis mon arivée.

J'ai fait une neuvaine à Cirey. Je m'y suis aquité de tout ce dont vous m'aviez chargé pour Mme du Chatelet et Mr de Voltere. Ils vous font mil remercimens, et vous attendent avec impatience. Mr de Voltere est d'une santé bien délicate, il a toujours été malade pendent le peu de temp que j'ai céjourné à Cirey. Mme du Chatelet est fort engressée, d'une figure aimable, et se portant àmerveille. Nous y avons beaucoup parlé de vous. Mon Oncle vous est toujours attaché par goût et par reconnoissence. Il vous sçait un gré infini de nous avoir aimé et consolé pendent son apsance. Je suis désespérée. Je le croi perdu pour tous ses amits. Il est lié de façon qu'il me parois presqu'impossible qu'il puisse briser ses chaines. Ils sont dans une solitude éfraiante pour l'umanité. Cirey est à quatre lieux de tout habitation, dans un païs où l'on ne voit que des montagnes, et des terres incultes, abandonnée de tous leurs amits et n'aiant presque jamais personne de Paris.

Voilà la vie que maine le plus grand génie de notre ciècle, à la vérité, vis à vis une femme de beaucoup d'esprit, fort jolie et qui emploict tout l'art imaginable pour le séduire. Il n'y a point de ponpons qu'elle n'arange, ni de passages des meilleurs philosophes, qu'elle ne cite pour lui plaire, rien n'y est épargné. Il en parois plus enchanté que jamais. Il se construit un apartement assez beau, où il y aura une chambre noire pour des opérations de phisiques. Le téâtre est fort joli, mais ils ne jouent point la comédie faute d'acteurs. Tous les comédiens de campagne à dix lieues à la ronde ont ordre de ce rendre au château. On a fait l'impossible pour tâcher d'en avoir pendand le temp que nous y avons été, mais il ne s'est trouvé que des marionetes fort bonnes. Nous y avons été reçus dans la grande perfection. Mon Oncle aime tendrement Mr Denis. Je n'en suis pas étonné car il est fort aimable. Je ne sçai si il m'est permis de parler comme cela d'un mari que j'aime tendrement; cependend comme je suis persuadée que l'on peut ouvrir son coeur à ses vrais amis, et que je me flate que vous voulez bien vous metre de ce nombre, je vous parle librement de ma situation que je trouve très heureuse. Je me suis liée avec un caractère extrêmement aimable joint à baucoup d'esprit; nous avons tous deux les mêmes goûts, nous nous aimons réciproquement; et je ne changerois pas mon sort pour une courone. Je voudrois bien que vous trouvassiez à à Ma soeure un Mari tel que le mien. Je ne peu lui soueter rien de plus obligent, ni de plus heureux. Je vous la recomande. J'attens une de ses lettres avec impatiance. Ne l'abandonez point je vous en prie, et pressez la toujours d'écrir à Mr de Voltere. Je ne désire actuelement que de la voir heureuse. Je croi que je m'acomoderez assez de la Vie que je maine ici. J'y ai une fort bonne maison, et quatre sens officiez à ma disposition, qui font autent de complaisans, sur les quelles j'en traïerai une dousène d'aimable, qui souperont souvent chez moi. La frontière ne ressemble point à toutes ses petites villes de provinces qui sont dans le coeur de la France. On y voit en homme toute la noblesse du roiaume, et il se trouve baucoup de gens d'esprit, et accoutumée à la bonne compagnie. Je vous ennuie, adieu Monsieur.

Mon Mari me charge de vous faire mil complimens. Il veut apsolument être aimé de vous. J'ai eu toutes les p[eines] du monde à l'empêcher de vous écrir le premier, je lui a[i] volé ce plaisir. Voudrez vous bien vous ressouvenir de la p[romesse] que vous nous avez faites, de nous envoier toutes les balivernes qui se font journelement à Paris? C'est un service dont nous serons bien reconnoissens. Vous aurez la bontez d'adresser tout cela à Mr Denis frère de mon Mari, qui demeure dans la maison que nous occupions à Paris. Traitez nous je vous prie comme le prince de Prusse, et soiez persuadée qu'il n'y a rien de trop bon ni de trop mauvais pour nous. C'est une resource infinie en province pour la conversation, sur tout quand on est obligée d'entretenir beaucoup de gens que l'on ne connois point, et dont on ne se soucie guère. Le peti ménage attent de vos nouvelles avec impatience. Il vous demande votre amitié. Vous lui devez Monsieur si vous n'étes point ingrat.

Mignot Denis