1738-05-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Antoine de Feriol, comte de Pont-de-Veyle.

Je fais mon très humble compliment à l'honnête homme tel qu'il soit, qui a fait cette jolie comédie du gascon de la Fontaine dont on me dit tant de bien.

Puisque vous êtes coadjuteur de mr Dargental dans le pénible employ de mon ange gardien, voicy de quoy faire usage de vos bontez.

Je vous envoye ange gardien charmant une petite addition à un mémoire que je suis obligé de publier au sujet des élémens de Neuton débitez trop précipitament, etc. Cette petite addition vous mettra au fait. Vous connaissez mon caractère, vous savez combien je suis vray.

J'ay poussé la vertu jusques à l'imprudence.

Autre tracasserie, des épîtres nouvelles, dont je ne veux certainement point être l'auteur, des imputations que vous savez que je ne mérite point, un vers qu'on aplique à la fille d'un ministre! Je suis au désespoir! J'ay mille obligations à ce ministre. Il y a vingtcinq ans que je suis attaché à la mére de la personne à qui on ose faire cette aplication malheureuse; j'aime personnellement cette personne, son mari que je pleure encor est mort dans mes bras. Par quelle rage, par quelle démence auroi-je pu l'offenser? sur quoy fonde t-on cette interprétation si maligne? a t'elle jamais fait des couplets contre quelqu'un? Si on persiste à répandre un venin si afreux sur des choses si innocentes, il faut renoncer aux vers, à la prose, à la vie.

J'ay fait la valeur de 4 nouvaux actes à Mérope. J'y travaille encor. Voylà pourquoy je ne l'ay point envoyée à madame de Richelieu. Si vous la voyez dites le luy à L'oreille. Un mot de réponse. Je me recomande à Raphael, lorsque Gabriel s'en va au diable. Madame du Chastelet qui vous aime infiniment, vous fait les plus tendres compliments. Je vous suis attaché comme à mr votre frère, que pui-je dire de mieux? Adieu Castor et Pollux, mea sydera, qui n'habiterez bientôt plus le même hémisphère.

V.

Ordonnez ce qu'il faut faire pour réparer le malheur de cette horrible aplication. J'écris à Praut de tout suprimer. J'écris à mr votre frère en conséquence. Je vous demande en grâce, le secret sur les épîtres que je désavoue, et la plus vive protection sur l'abus qu'on en fait. Madame du Chastelet vous fait les plus tendres compliments et partage ma reconnaissance. Vous devriez bien nous faire avoir le fat puni. On dit qu'il est charmant.

V.