1738-03-23, de — Medina à Voltaire [François Marie Arouet].

Je reçois Mon Cher Monsieur la lettre que vous m'avés fait l'honneur de m'écrire le 15 de ce mois; ce n'est point la misère qui engage ce coquin de Rousseau à recevoir sa subsistance des personnes qui selon moy ont autant de bassesse d'âme à la luy fournir que luy de l'accepter; et quoiqu'il sorte cellà n'empêche pas qu'égallément on luy aporte ses repas, et son vin des mêmes endroits; que dirés vous monsieur de ce monstre qui depuis huit jours à fait dire trois messes; l'une à nostre Dame de Lach à Demy lieüe d'icÿ, les deux autres à Hals à Deux lieüx; ce misérable a été les entendre; et affécte une dévotion fade qui doit mettre le comble à toutes ses infâmes manoeüüres.

Je suis pénétré de la bonté que vous voulés bien avoir de m'avancer les trois Cens florins qui j'ay pris la liberté de vous demander; et puisque vous avés celle de m'accorder jusqu'à la fin de l'année pour Vous les remboursser et sans aucün intérêt; en voicÿ monsieur mon Billet pour ce temps là payable Dans Paris; je conte très positivement l'acquitter bien plustôt, et je conserveray toute ma vie la plus vive recconnoissance de ce témoignage de vostre amitié. Je n'aurois pas besoin de cette somme sans un maudit procés qui est la seüle chose qui retarde la fin de mes affaires; et sans les indignes manoeüüres de ce monstre de Rousseau; qui m'a envérité des obligations infinies;

J'écris à Monsieur Darius à Paris de se rendre ches Monsieur L'abbé Moussinot qui j'espère luy compterà la Valeur des trois Cens florins sans autre quittance que celle dont est cÿ joint la copie; et je vous prie de Vouloir luy donner vos ordres consséquemment.

J'auray soin Monsieur de vous instruire exactément de ce qui concernerà ce coquin de Rousseau; s'il fait encore quelqu'ouvrage qui ne pourrà désormais qu'estre bien foible; je le sçauray pour Vous le commüniquer.

Si les feuillets de Nouvelles politiques d'Hollande vous pouvoint amüser; je les reçois exactément et je Vous les enverrois avec grand plaisir; ainsy que tout ce qui pourroit vous en faire de ce paÿs cÿ. Rien ne me touchera jamais davantage que des occasions à vous servir; et vous témoigner mon zèle pour tout ce qui vous intéresse ayant l'honneur d'estre avec autant de respect que d'estime et de récconnoissance

Monsieur

Vostre très humble & très obéisst serviteur
Medina