8 mars 1738
J'étois bien étonné mon cher amy que quand j'avois la fièvre vous vous portassiez bien.
Mais je voi par votre lettre que notre ancienne simpatie dure toujours. Vous avez deu être saigné du pied, car je le fus il y a cinq ou six jours, et probablement cela vous a fait grand bien. Voylà ma nièce à Landau. Je l'eusse mieux aimée à Paris ou dans mon voisinage. Elle épouse au moins un homme dont tout le monde m'écrit du bien. Elle sera heureuse partout où elle sera. Si vous avez un peu d'amitié pour la cadette recomandez luy de faire comme son aînée, je ne dis pas de s'en aller en province mais de choisir un honnête homme, qui surtout ne soit point bigot. Le fanatique Arouet la déshéritera si elle ne prend pas un convulsionaire, et moy je la déshérite si elle prend un homme qui sache seulement ce que c'est que la constitution. Raillerie à part, je voudrois qu'elle pût trouver quelque garçon de mérite avec qui je pusse un peu vivre. Je ne veux point laisser mon bien à un sot. Je luy donnerai à peu près autant qu'à son aînée. Tâchez mon amy de luy trouver son fait.
Je ne suis point surpris que vous ayez deviné monsieur de la Chaussée, vous êtes homo argutæ naris, et ses vers doivent frapper un odorat fin comme le vôtre. Je suis bien aise qu'il continue à confondre par ses succez dans des genres oposez les impertinentes épitres de l'auteur des ayeux chimériques. Son Maximien sera sans doute autrement écrit que celuy de Tomas Corneille. Il est vray que ce Tomas intriguoit ses pièces comme un Espagnol et on ne peut pas nier qu'iln'yait baucoup d'invention et d'art dans son Maximien aussi bien que dans Camma, Stilicon, Timocrate. Le rôle de Maximien même n'est pas sans bautez et la manière dont il se tue eut autrefois un très grand succez.
Ces vers et cette mort furent fort bien reçus, et la pièce eut plus de trente représentations, mais cet effort d'intrigue, cet art recherché avec le quel la pièce est conduite a servi ensuite à la faire tombre, car aumilieu de tant de ressorts et d'incidens les passions n'ont pas leurs coudées franches, il faut qu'elles soient à l'aise pour que les babillardes puissent toucher. D'ailleurs le stile de Tomas Corneille est si faible qu'il fait tout languir, et une pièce mal écrite ne peut jamais être une bonne pièce.
Vous donneriez à mon gré une louange médiocre au nouvel auteur si sa tragédie n'étoit pas mieux écrite que l'Heraclius de Pierre Corneille dont vous me parlez. Je vous avoue que le stile de cet ouvrage m'a toujours surpris par la dureté, le galimatias, et le familier qui y règne. Je ne connois guère de beau dans Heraclius que ce morceau qui vaut seul une pièce:
D'ailleurs l'insipidité de la partie quarrée entre Leonce et Pulcherie, Heraclius et Leontine, et les malheureux raisonements d'amour en vers très bourgeois dont tout cela est farci, m'ont excédé toujours et terriblement ennuyé, et je sçai bien que Despreaux avoit en vue Heraclius dans ces vers:
Je n'ay point vu la metromanie, mais on peut hardiment juger de L'ouvrage par l'auteur.
Voicy une lettre pour notre prince. Adieu, vous devriez bien venir nous voir avec ces Denis. Mandez moy donc si ce recueil de Ferrand fait du bruit, et ce que c'est.