4 mars [1736]
J'ai été malade; madame du Châtelet l'est à son tour.
Je vous écris à la hâtet au chevet de son lit, et c'est pour vous dire qu'on vous aime à Cirey autan, que chez Plutus-Pollion; puis vous saurez qu'Alzire, la dédicace, le discours, la pièce, corrigés jour et nuit, viennent par la poste. Tout cela est changé, comme une chrysalide qui vient de devenir papillon en une nuit. Vous direz que je me pille; car c'est ce que je viens d’écrire à m. d'Argental; mais quand Emilie est malade, je n'ai point d'imagination. Je viens de voir la feuille de l'abbé Prévost; je vous prie de l'assurer de mon amitié pour le reste de ma vie. Je lui écrirai assurément.
Comptez, mon cher ami, qu'il fallait une dédicace d'une honnête étendue. J'ose assurer que c'est la première chose adroite que j'aie faite de ma vie. Toutes les femmes qui se piquent de science et d'esprit seront pour nous; les autres s'intéresseront au moins à la gloire de leur sexe. Les académiciens des sciences seront flattés, les amateurs de l'antiquité retrouveront avec plaisir des traits de Cicéron et de Lucrèce. Enfin, morbleu, Emilie ordonne, obéissons.
Si la fin du discours que je vous adresse ne vous plaît pas, je n’écris plus de ma vie.
Allons, voyons si nous serons sûrs d'un censeur. Mon cher ami, je vous recommande cette affaire; elle est sérieuse pour moi; il s'agit d'Emilie et de vous.
Remerciez m. de Marivaux; il fait un gros livre contre moi, qui lui vaudra cent pistoles. Je fais la fortune de mes ennemis.