1736-02-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je ne me porte guères bien encore.
Raisonons pourtant mon cher amy. Pas un mot de Samson aujourduy s'il vous plaît. Tout sera pr Alzire. Je viens de la recevoir. C'étoit de vous que je l'atendois. Je suis au désespoir qu'elle ait été en d'autres mains qu'entre les vôtres, et celles de mr Dargental. Ce sont des profanes qui se sont emparez de mes vases sacrez et vous mon grand prêtre vous ne les avez pas eus dans votre sacristie?

Demoulin est une tête picarde que je laverois bien mais qu'il faut ménager, par ce qu'il a le cœur bon et que de plus il a mon bien entre ses mains. Dieu veuille qu'il y soit plus sûrement que mes Americains. C'est un honnête homme mais je ne sçai s'il entend les afaires mieux que le téâtre. Il m'aime. Il faut luy passer bien des choses. J'ay été confondu je vous l'avoue de voir les négligences barbares dont la précipitation avec la quelle on m'a joué, a laissé ma pièce remplie. Elle en est défigurée. J'ay été bien fâché je vous l'avoue. J'ay fait sur le champ un bel écrit à trois colomnes pour être envoyé à mr Dargental, à vous et aux comédiens. Demoulin en est chargé. De plus j'écris à chaque acteur en particulier. Enfin s'il en est temps il faut réparer ces fautes. Il y en a d'énormes. Croyez moy, j'ay mis mes raisons en marge. Je seray bien piqué si on ne se prête pas à la justice que je réclame, et je suis sûr que la pièce tombera, si elle n'est tombée. Je sçai que touttes ces fautes ont été bien senties et bien relevées à la cour. Mon cher amy, il faut presser Sarrazin, Grandval, melle Gossin, Legrand de se rendre à mes remontrances. C'est là où j'ay besoin de votre éloquence persuasive.

La dédicace à madame la marquise du Chatelet doit absolument paraitre, le prêtre et la déesse le veulent.

Pr l'épitre que je vous adressois, je ne suis pas encor décidé. Je suis convaincu qu'il faut une apologie. Qu'on attaque mes ouvrages, je n'ay rien à répondre. C'est à eux à se deffendre bien ou mal. Mais qu'on attaque publiquement ma personne, mon honneur, mes mœurs dans vingt libelles dont la France et les pays étrangers sont inondez c'est signer ma honte que de demeurer dans le silence. Il faut opposer des faits à la calomnie, il faut imposer silence au mensonge. Je ne veux il est vray d'aucune place, mais quelle est celle où j'oserois prétendre si ces calomnies n'étoient pas réfutées? Je veux qu'on dise, il n'est pas de l'académie par ce qu'il ne le désire pas, et non qu'on dise, il seroit réfusé. C'est ne me point aimer que de penser autrement, et je suis sûr que vous m'aimez. L'exemple de l'abbé Prevost ne me paroît pas fait pour moy. Je ne sçai s'il a dit, ou dû dire je suis honnête homme, mais je sçai moy que je le dois dire, et que ce n'est pas une chose à laisser conclure comme une proposition délicate. Mes mœurs sont directement oposées aux infâmes imputations de mes ennemis. J'ay fait tout le bien que j'ay pu, et je n'ay jamais fait le mal que j'ay peu faire. Si ceux que j'ay acablez de bienfaits et de services sont demeurés dans le silence contre mes ennemis, le soin de mon honneur me doit faire parler, ou quelqu'un doit être assez juste, assez généreux pour parler pr moy. Pourquoy sera t'il permis d'imprimer que j'ay trompé un libraire, que j'ay retenu des souscriptions, et ne me sera t'il pas permis de démontrer la fausseté de cette accusation? Pourquoy ceux qui la savent se tairont ils? L'innocence et j'ose dire la vertu doit elle être oprimée, calomniée par la seule raison que mes talents m'ont rendu un homme public? C'est cette raison là même qui doit m'élever la voix, ou qui doit dénouer la langue de ceux qui me connaissent. Que m'importe que don Prevost qui n'a point d'ennemis ait écrit quelquechose ou non sur mon compte? Que me fait son avanture d'une lettre de change à Londres? Qu'il se disculpe devant les jurez. Mais moy je suis attaqué dans mon honeur par des ennemis, par des écrivains indignes. Je dois leur répondre hardiment une fois dans ma vie, non pour eux, mais pour moy. Je ne crains point Roussau. Je le méprise, et tout ce que j'ay dit dans mon épître est vray. Reste à savoir s'il faut que ce soit moy ou un autre qui ferme la bouche au mensonge. Si Don Prevost vouloit entrer dans ces détails adroitement, et dans une feuille consacrée en général à venger la réputation des gens de lettres calomniez, il me rendroit un service que je n'oublierois de ma vie. La matière d'ailleurs est belle et intéressante. Les persécutions faites aux auteurs de réputation, ont mérité des volumes. Si donc je suis assuré que le pr et contre parlera aussi fortement qu'il est nécessaire je me tairay, et ma cause sera mieux entre ses mains que dans les miennes. Mais il faut que j'en sois sûr.

Quel est le malheureux auteur de cet observateur poligrafique? Ne seroit ce point l'abbé des Fontaines? C'est assurément quelque misérable écrivain de Paris. Il ne sait donc pas que vous êtes mon amy intime, mon plénipotentiaire, mon juge? Voylà vos qualitez sur le Parnasse.

Me la marquise du Chatelet veut absolument que mon apologie paraisse en mon nom. Cela n'empêcheroit pas les bons offices du pr et contre.