A Cirey, ce 22 septembre [1735]
Vous allez dire que je suis bien difficile à vivre, je ne suis point contente de votre lettre.
Ce n'est pas qu'elle ne soit charmante: mais elle est trop courte; vous ne me parlez point de vous. Il est vrai que vous m'y parlez de moi d'une façon qui me ferait encore plus sentir mon bonheur s'il était possible. Vous devez bien sentir, combien je vous aime, puisqu'au milieu d'une félicité qui remplit également mon cœur et mon esprit, je désire savoir tout ce qui vous intéresse, de partager tout ce qui vous arrive. Votre absence me fait sentir que j'aurais encore quelque chose à demander aux dieux, et que pour être parfaitement heureuse, il faudrait que je vécusse entre vous et votre ami: mon cœur ose le désirer, et ne se reproche point un sentiment que la tendre amitié que j'ai pour vous y conservera toute ma vie. Vous ne me parlez point de me venir voir ni du temps où vous prévoyez la fin de la campagne, ni de l'ennui dont elle doit être pour vous. Je veux bien mourir au monde, mais je ne veux point mourir à votre amitié. Jugez si dans l'inaction et l'ennui de la campagne vous m'écrivez de petites lettres, ce que vous ferez à Paris: vous m'y oublierez pour six mois, mais du moins je suis bien sûre que vous ne penserez à moi qu'avec amitié et sensibilité.
J'ai fait une course bien légère. Je n'ai été que cinq jours dans mon voyage à aller, venir et séjourner. Je ne crois pas avoir jamais fait une si belle action que de partir et une si agréable que de revenir. J'ai trouvé ma mère hors d'affaire; elle était à sa petite maison de Créteil: ainsi je n'ai pas couché dans Paris; j'y ai été le vendredi parler à mon notaire, et voir mademoiselle Sallé à l'opéra dans la petite loge de madame de St.-Pierre; je m'enveloppai dans mes coiffes, et tout le monde me prit pour madame de Renel. Le duc de Becheran vint dans la loge parler à madame de St.-Pierre et ne me reconnut pas; le Forcalquier était arrivé le même jour, mais je ne le vis point. Mademoiselle Salé me fit beaucoup de plaisir, je l'ai même trouvée augmentée en légèreté: l'opéra me parut plein de très belle musique. Le poème est détestable. On ne sait ce que c'est: je ne l'ai pas bien vu; car je ne voulus pas sortir de la petite chaise de derrière; l'opéra me parut une apparition de S. Antoine; je croyais toujours que j'allais me réveiller et me trouver à Cirey. Je vous avoue que je fus fâchée, quand je vis qu'il n'y avait point de réveil à espérer. Je ne sais si vous m'aimez assez pour avoir été bien aise que je vous mandasse mon voyage à Paris: mais j'en ai usé avec vous, comme j'aurais voulu que vous en eussiez usé avec moi en pareille occasion. Vous voyez bien que je n'ai pas profité de la demande que je vous avais faite, et je ne vous en remercie pas moins. J'ai appris en passant que l'on avait beaucoup parlé du roi et de madame de Bouflers, à Petit-Bourg; on prétendait qu'il lui avait tenu des propos fort gaillards. La reine à son retour lui dit: Madame de Bouflers, vous avez bien fait parler de vous à Petit-Bourg. — Qu'est-ce qu'on a dit, madame? — On dit que vous avez beaucoup lorgné le roi. — Madame, votre majesté est mal informée: ce n'est pas comme cela que cela s'est dit: on a dit que le roi m'avait beaucoup lorgnée.
La reine est venue à Paris demander un duc d'Anjou à la vierge, qui n'en a jamais eu. On voulait lui faire une réception superbe et galante: mais le cardinal a dit qu'on ne lui avait pas demandé son avis, et qu'il était que, dans un temps de calamité, cela ne serait pas bien: il avait apparemment oublié tous les te deum que nous avions chanté. Elle a fini par venir à Paris faire sa prière et par prendre des glaces de la le Fevre dans la cellule de madame d'Armagnac. Le même garçon qui lui en avait porté, m'en servit, et cette anecdote m'a paru plaisante. Nous sommes ici tout anecdote. On a signé aujourd'hui la paix de Nimegue. Je vous assure que vous ferez bien de nous venir voir: ou trouverez vous deux personnes qui vous aiment davantage, et plus de choses curieuses sur l'histoire de Louis XIV? Je compte que vous précéderez m. du Châtelet. Madame de Richelieu ne vient point; n'allez pas en faire de même; ma maison ne sera pas encore trop achevée, mais ce n'est pas une maison que vous venez voir. On a fait frapper une médaille avec un paon, et pour légende, silet ne placeat, et on l'a envoyée à l'assemblée du clergé. M. de Valence a cependant fait la plus belle harangue que j'aie encore vue; si vous en êtes curieux, je vous l'enverrai. Adieu! je suis une bavarde, mais mon cœur l'est avec vous. Vraiment j'allais finir, sans vous parler de cette pauvre petite Lauraguais; n'aurez vous pas trouvé bien touchant de voir cette fleur coupée aussitôt qu'éclose? J'ai reçu hier une lettre de madame de Brancas, qui m'a presque fait pleurer; elle attendrirait les rochers; et je ne me pique point de l'être. Je crois sa douleur sincère; car, quel intérêt aurait elle à me tromper? En vérité! elle est fondée: c'était une aimable enfant; voilà deux de vos amies dans l'affliction par la même cause. Adieu! donnez moi de vos nouvelles. Je ne suis pas comme vous; quand je n'en reçois pas, j'en suis en peine; et quand j'en reçois, elle me font un plaisir proportionné à la tendre et inébranlable amitié qui m'attache à vous. La Nesle est grosse, et plus belle que jamais; je l'ai rencontrée. Madame de Brancas est à Dampierre; je n'ai pu la voir dans mon voyage, dont j'ai été bien affligée.