Rouen
Entre Formont et Cideville,
Moi, certes, qui ne les vaux pas,
Je vous écris de cette ville
Que l'on dit être si fertile
En fabriqueurs de faux contrats,
Issus, à ce qu'apprend l'histoire,
De ces farouches conquérants,
Du nord antiques habitants,
Qui, du fond d'une forêt noire,
Furent conduits par la victoire
Aux bords fertiles et charmants
Et de la Seine et de la Loire;
Que nos grands pères par trop sots,
Et faibles contre leurs furies,
Honoraient dans leurs litanies
D'un benêt de libera nos.
Voilà ce qui s'appelle un vrai rabâchage: mais vous aimez le nôtre et vous savez que nous sommes ici trois de vos plus fidèles amis; je leur ai parlé des répétitions de Zaïre; ils sont amoureux de cette charmante demi chrétienne; sur ma parole, je n'ai pu m'empêcher même de leur dire que mademoiselle Gaussin avait tout ce qui pouvait rendre un personnage aussi intéressant. Ils attendent Zaïre avec impatience, et disent qu'ils en ont besoin pour dissiper la terreur que l'ombre d'Amphiaraüs inspire.
Cette ombre de mauvaise humeur
Ne nous a fait que trop de peur;
Paraissez, aimable Zaïre;
Par vos regards doux et charmants,
Dissipez la terreur qu'inspire
L'horreur de ces enchantements,
Qui font partie du noir empire,
Des mânes pâles et sanglants;
Paraissez, aimable Zaïre!
Dieux! sur les pas de Nérestan,
Je la vois voler au martyre:
Quoi! la tendre Zaïre expire
Et c'est par la main d'Orosman.
Que vois je! ce fier Ottoman
S'immole pour suivre Zaïre:
J'écoute, je tremble et j'admire.
Tu sais par des ressorts puissants,
Saisir, émouvoir tous mes sens.
Telle est de la tragique scène
Le charme ou plutôt la fureur:
Dans un moment rempli d'horreur,
On sent une joie inhumaine
Quand le poignard de Melpomène
Semble aussi nous percer le cœur.
Je voudrais, sans me nommer, dire bien de jolies choses à notre vieille et aimable doyenne de Cythère et de la bonne compagnie; mais je n'ai pas comme vous à mes ordres
Cette muse galante et fine
Qui sert quelquefois aux amants
A découvrir leurs sentiments
D'une façon tendre et badine.
A Martel, dites cependant
Que je l'aime si tendrement,
Qu'en vain elle serait mutine,
Que je veux lui faire un enfant.
Je suis sûr qu'elle me devine.