1757-02-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Qu'est ce que c'est donc, ma chère nièce, qu'une petite secte de la canaille, nommée la secte des margouillistes, nom qu'on devrait donner à toutes les sectes?
On dit que ces misérables fanatiques nés des convulsionnaires, et petit-fils des jansénistes, sont ceux qui ont mis non pas le couteau mais le canif à la main de ce monstre insensé de Damiens, que ce sont eux qui envoient du poison au dauphin dans une lettre, et qui affichent des placards: le tout pour la plus grande gloire de dieu. Les honnêtes gens, par parenthèse, devraient me remercier d'avoir tant crié toute ma vie contre le fanatisme; mais les cours sont quelquefois ingrates.

Vous savez les coquetteries que me fait le roi de Prusse, et que la czarine m'appelle à Pétersbourg. Vous savez aussi qu'aucune cour ne me tente plus, et que je dois préférer la solidité de mon bonheur dans ma retraite à toutes les illusions. Si j'en voulais sortir, ce ne serait que pour vous. Ma santé exige de la solitude: je m'affaiblis tous les jours.

J'ai fait un effort pour jouer Lusignan; votre sœur a été admirable dans Zaïre; nous avions un très beau et très bon Orosmane, un Nérestan excellent, un joli théâtre, une assemblée qui fondait en larmes: et c'est en Suisse que tout cela se trouve, tandis que vous avez à Paris des margouillistes. Je vous ai bien regrettée; mais c'est ce qui m'arrive tous les jours.

Ayez grand soin de votre malheureuse santé; conservez vous, aimez moi. Mille tendres compliments à fils, à frère, à secrétaire. Adieu, ma très chère nièce. Votre sœur ne vous écrit point aujourd'hui; elle apprend un rôle. Nous ne vous parlons que de plaisir: instruisez nous des sottises de Paris.