à Monrion 19 févr[1757]
Qu'est ce que c'est donc, ma chère nièce, qu'une petite secte de la canaille, nommée la secte des margouillistes, nom qu'on devrait donner à toutes les sectes?
On dit que ces misérables fanatiques nés des convulsionnaires, et petit-fils des jansénistes, sont ceux qui ont mis non pas le couteau mais le canif à la main de ce monstre insensé de Damiens, que ce sont eux qui envoient du poison au dauphin dans une lettre, et qui affichent des placards: le tout pour la plus grande gloire de dieu. Les honnêtes gens, par parenthèse, devraient me remercier d'avoir tant crié toute ma vie contre le fanatisme; mais les cours sont quelquefois ingrates.
Vous savez les coquetteries que me fait le roi de Prusse, et que la czarine m'appelle à Pétersbourg. Vous savez aussi qu'aucune cour ne me tente plus, et que je dois préférer la solidité de mon bonheur dans ma retraite à toutes les illusions. Si j'en voulais sortir, ce ne serait que pour vous. Ma santé exige de la solitude: je m'affaiblis tous les jours.
J'ai fait un effort pour jouer Lusignan; votre sœur a été admirable dans Zaïre; nous avions un très beau et très bon Orosmane, un Nérestan excellent, un joli théâtre, une assemblée qui fondait en larmes: et c'est en Suisse que tout cela se trouve, tandis que vous avez à Paris des margouillistes. Je vous ai bien regrettée; mais c'est ce qui m'arrive tous les jours.
Ayez grand soin de votre malheureuse santé; conservez vous, aimez moi. Mille tendres compliments à fils, à frère, à secrétaire. Adieu, ma très chère nièce. Votre sœur ne vous écrit point aujourd'hui; elle apprend un rôle. Nous ne vous parlons que de plaisir: instruisez nous des sottises de Paris.